Hyperdrama

Justice

Ed Banger Records – 2024
par Aurélien, le 26 avril 2024
7

On pensait que ce serait facile, qu’il suffirait d’une chronique en forme de séparation à l’amiable pour laisser derrière nous Justice, son cortège de pop culture et ses beaux moments de vie. La vérité, c’est qu’on avait à peine entendu les dernières notes de Woman qu’on avait envie de croire qu’on était passés à côté de quelque chose de fou. Au final, on a eu huit ans pour potasser le sujet, et on peut le reconnaître : si on comprend mieux ce qui nous déplait sur ce troisième album du duo, on en est arrivés à la conclusion que même ce disque moyen ne nous a pas empêché d'avoir envie de retrouver l’hyperespace en compagnie de Gaspard Augé et Xavier de Rosnay. Car l’affectif demeure fort, et peut-être encore plus depuis que Daft Punk a tiré sa révérence. Dire qu’on embarque dans le vaisseau Hyperdrama avec des frissons dans le dos est donc un doux euphémisme. Et dire qu’on attend sans doute trop de ce voyage en est un autre.

Car à peine aux portes du vaisseau, accueilli par la voix d'un Kevin Parker qui a définitivement décidé de ne plus forcer son talent, que l'incertitude s’invite déjà dans nos esprits : a-t-on une fois encore accordé trop de confiance aux Parisiens ? Il faudra attendre la deuxième partie de ce "Neverender" pour que nos doutes se dissipent, et aller au bout du disque pour comprendre que le ton était donné d'entrée. Ici, le tandem rappelle à qui veut l’entendre qu’ils ne sont pas des innovateurs, mais plutôt de bons artisans de cette French Touch qui, ici, continue d'écrire sa propre légende dans un plafond d’étoiles, comme un certain duo casqué a su le faire dans les années 2000. On aimerait ne pas citer Discovery pour ne pas faire d'ombre à Hyperdrama et pourtant, la comparaison tient la route : s’il sonne peut-être un rien plus italien ("Incognito"), un rien plus belge ("Generator"), et des fois très français (formidable "Dear Alan" en forme d'hommage au trop discret Alan Braxe), Hyperdrama affiche sa maîtrise des grammaires électroniques porté par un Gaspard Augé autant galvanisé par ses récentes Escapades que par ses retrouvailles avec un Xavier de Rosnay soucieux d’envoyer du bois après tout ce temps loin des studios.

Surtout, il y a sur Hyperdrama quelque chose en plus : le sentiment qu’enfin le groupe s’est décidé à écrire un disque en n'ayant pas uniquement la déclinaison live dans un coin de la tête. On a trop souvent eu le sentiment que la musique de Justice s’écrivait dans des cases Fruity Loops, que chaque composition était un bloc voué à se superposer à un autre bloc issu du même disque ou d'un autre - ce qui était révolutionnaire à l’époque d’Alive 2007 s'est transformé en une mauvaise habitude. Mais Hyperdrama semble libre d’aller se promener là où il veut, capable de chambouler sa narration sans que cela ne sonne déplacé, disposé à insérer des respirations bienvenues entre un rouleau compresseurs italo-disco et une turbine new beat. Ajoutez à cela des arrangements travaillés et des featurings bien sentis (dont un particulièrement formidable avec un Connan Mockasin à contre-emploi), et vous obtenez plein de raisons de penser que jamais un album de Justice n’a aussi bien sonné depuis… et bien jamais, justement.

Hyperdrama serait-il donc le premier "vrai" disque de Justice ? La question est piégeuse, tant tout dans cet album puise sa force chez ses prédécesseurs, dont certains traversent pourtant péniblement l’épreuve des années. On a envie de croire que ce quatrième long format de Justice est celui qu’on ressortira le plus régulièrement à l'avenir, tant tout s’y trouve au même niveau, sans révolution mais avec dans le fond du cœur un petit supplément d’âme et de musicalité qui fait mouche. Car Hyperdrama est peut-être bien le disque qu’on rêvait d'écouter pendant qu’on lisait notre boîte de corn flakes : il a pour lui cette part de rêve et d’enfance qui n'en fait peut-être pas un grand disque, mais certainement le disque qu'on attendait de la part de Justice depuis tant d’années.

Le goût des autres :