2008-2013 : le goût des autres
Chronique par SWQW
De la rigueur, de l'intransigeance et une grosse paire de couilles, le tout au service d'une musique qui en a souvent (des couilles).
Chris Watson
El Tren fantasma
Un disque symbole de ces 5 dernières années ? On s’imaginait déjà se foutre sur la gueule au sein de l’équipe de SWQW afin d’hypothétiquement tomber d’accord. Et finalement, le choix fut aussi rapide qu’unanime : El Tren Fantasma de Chris Watson. La raison 1ère est simple : l’album dépasse de très loin le cadre étroit de la musique. Parce que chez SWQW, on met un point d’honneur à mettre en avant les créations les plus obtus et les sous-genres les plus étroits, choisir un disque de pur field-recording s’est donc naturellement imposé à nous.
Pour mieux comprendre cette œuvre totale, il est nécessaire de faire un bref retour sur le propriétaire. En 2003, Chris Watson, ex Cabaret Voltaire, sortait Weather Report, sublime album d’électro-acoustique se chargeant de capter les sons de la terre. Car Chris Watson n’est pas un musicien au sens premier du terme, c’est plutôt un créateur au sens primaire. Son travail se base uniquement sur la captation sonore directe, sur le travail du réel, sur le concret. En cela, on peut rapprocher ses créations de celles de Pierre Schaeffer ou Luc Ferrari dont il est un héritier évident.
El Tren Fantasma est son chef d’œuvre le plus abouti car il s’agit bel et bien d’un monument sonore que vous tenez entre les oreilles. Tout débute et tout s’achève au Mexique, il y a 10 ans, au bord d’une ligne de chemin de fer traversant le pays du Pacifique à l’Atlantique. Cette ligne mythique du réseau ferroviaire mexicain n’est plus mais Chris Watson l’a parcouru en compagnie des ultimes passagers. Le rendu apparaît sous la forme d’un livre de voyage en 10 escales.
Point de musique ici, seulement des sons. Cet ensemble concret transforme le réel en partition. Le voyage dans le train fantôme peut débuter. D’ailleurs, navigue-t-on dans réel, n’est-on pas dans le factice puisque aujourd’hui, il ne s’agit plus que d’un fantasme ? Tout l’enjeu est justement là, dans cet entre-deux permanent. El Tren Fantasmac’est la lutte incessante entre l’homme et la nature, à ceci près que l’homme est ici représenté par la machine. Cette lutte permet de mieux confronter réel et imaginaire car Chris Watson ne se contente pas de livrer un rendu sonore brut, il colle, assemble, superpose différentes strates, il accélère, dilate, étire le temps. Il rend ainsi le réel imaginaire afin de véritablement créer le fantasme.
El Tren Fantasma doit s’appréhender comme un parcours. Entre les portes qui s’ouvrent et se ferment avec fulgurance de Chihuahua, l’abandon désagréable dans le terminal ferroviaire de Mexico D.F. ou bien le trip nocturne dans une jungle inhospitalière (à faire flipper tous les James Cook en herbe) de El Tajin, l’expérience est totale et confine au sublime. Unique morceau musical, El Divisadero impose la lancinance d’un train qui roule, cette rythmique métronomique apaisant les esprits. C’est alors qu’une nappe ambient vient sublimée ce parcours avant que le tout se transforme en écho. On touche ici au chef d’œuvre absolu tant le rendu est remarquable, tant l’hypnose s’impose avec un gant de velours.
Il est difficile de ne pas tomber dans la conclusion dithyrambique, dans l’avalanche de superlatifs pour qualifier ce chef d’œuvre de Chris Watson. Comme disque emblématique de ces 5 dernières années, on fait difficilement plus complet. Dites-vous d’ailleurs que dans 50 ans, El Tren Fantasma aura encore tout son sens. On parle ici d’œuvre majeur, de patrimoine musical. El Tren Fantasma est le disque de voyageur ultime.