Les meilleurs crus 2010 (albums)
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10.FünfVarious Artists
Le résultat est un crime de sang froid. Le double-disque s'approprie l'imaginaire berlinois, fait de béton et d'acier, et se transcende dans une organisation glaciale. Les émotions qui filtrent sont celles des corps qui hurlent; tout ici est brutal, cru et sans pitié. Martelant sans cesse cet hybride techno/indus/dubstep, pensionnaires et invités (dont les essentiels Substance, Dinky ou Scuba) profitent d'une banque sonore rugueuse pour offrir une œuvre globale d'une cohérence qui fait peur. Unis pour retranscrire l'ambiance qui règne au Berghain/Panorama Bar, tous participent à faire de Fünf un brûlot ciblé. Et c'est peut-être là tout le génie de Fünf: apparaître indivisible comme l'est son clubbing, comme une démarche sonore indépendante de ses producteurs.
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9.The Wild HuntThe Wildest Man On Earth
S'il ne faut retenir qu'un album de folk en 2010, ce sera probablement celui-là. Certes, Kristian Matsson avait déjà fait un peu parler de lui en 2008 avec son premier album, Shallow Grave. Mais sur The Wild Hunt, le songwriter suédois parvient à atteindre des sommets d'émotion rarement entendus cette année. Evidemment, les comparaisons avec un certain Bob Dylan sont évidentes, notamment en raison de cette voix nasillarde si caractéristique. Mais limiter The Tallest Man On Earth à ses talents d'imitateur relèverait de la gageure, tant il se dégage des ballades décharnées de Kristian Matsson une volonté sincère de dépasser le stade de l'exercice stylistique pur et simple. Gorgé de tubes puissants et de ballades poignantes, The Wild Hunt est un voyage passionnant dans les tréfonds de l'âme humaine et, surtout, un disque indispensable.
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8.Pilot TalkCurren$y
Pilot Talk était un projet très attendu. Mais cette attente ne s'est pas révélée infructueuse. L'album est plein, travaillé, élaboré sur des bases solides que sont le flow enfumé de Curren$y et les instrus aux petits oignons de Ski Beatz, le tout agrémenté de featurings intéressants comme celui de Snoop Dogg qui retrouve sur "Seat Change" son flow incisif. Quelques morceaux avaient déjà rencontré un franc succès avant la sortie du disque, mais sur Pilot Talk ceux-ci se sont vus offrir un lifting réussi au niveau de la production, qui oscille entre beat cuivré, rap mainstream et guitare saturées. Avec des réalisations d'une telle qualité, Spitta n'avait plus qu'à dérouler son phrasé nasal et planant avec le talent qu'on lui connaît. L'album est par ailleurs sublimé lorsque les petits camarades de jeu de Curren$y font eux aussi transpirer le mic de manière remarquable.
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7.NorthDarkstar
Déjà en 2009, Darkstar avait surpris son petit monde avec « Aidys Girl's a Computer », bombinette en puissance où dubstep et synth-pop s'unissaient pour un mariage d'amour de toute beauté. Sur North, c'est cette esthétique marquée par l'épure et le romantisme qui est poussée jusqu'à son paroxysme. Ainsi, en dix titres concis et confondants de beauté, ce sont autant les aventures en solo de Thom Yorke que le raffinement de The Human League ou le trip-hop post-moderne de Portishead qui sont malaxés dans le seul but de pousser le dubstep dans ses derniers retranchements. A un point tel que North n'évoque plus cette musique que via cette ambiance de déliquescence urbaine qui pèse comme une chape de plomb sur nombre de compositions. Tortueux, dense et sombre, North l'est de toute évidence.
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6.The ArchAndroidJanelle Monae
The ArchAndroid est un copieux aperçu des multiples talents de la Miss Monae. La belle n'hésite pas à s'aventurer du coté de la pop avec l'étonnant "Make The Bus" (dans lequel on retrouve les zouaves de Of Montreal) ou "Wondaland", voire même sur le terrain rock avec l'ébouriffant "Come Alive". Néanmoins, que les choses soient claires: il s'agit ici d'un album de R'n'B. Si en 2010 le terme est devenu presque péjoratif, il s'agit ici de lui redonner ses lettres de noblesses. Avec The ArchAndroid, Janelle Monae a prouvé de manière brillantissime qu'elle était bien plus qu'un simple buzz. Cet album frais, homogène et brillant donne un coup de fouet à la production R'n'B grâce à une fougue réjouissante, un talent qui ne se dément pas et une somme conséquente de bonnes idées. Cette chanteuse a, en tous les cas, la carrure d'une star mondiale. Beyoncé, tu peux commencer à trembler...
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5.Kanye WestMy Beautiful Dark Twisted Fantasy
Kanye continue son odyssée pop et atteint une forme de quintessence de sa musique hybride, réussissant une synthèse convaincante des multiples facettes de sa musicalité. My Dark Twisted Fantasy est à cet égard un album qui arrive à faire cohabiter un "Lost In The World" sucré avec un "Devil In A New Dress" soulful ou un "Monster" énervé de façon très harmonieuse. Kanye est l'unique possesseur de la clé musicale permettant d'unir hip hop et pop sans pour autant sombrer dans le putassier. En plus de son talent pur, Mr. West a gagné en maturité dans la construction de son album. Il ne sombre pas ici dans la radicalité (défaut majeur, si l'on peut dire, de 808 & Heartbreak) et évite les temps morts (ce qui avait plombé Graduation), c'est un projet bien cohérent que nous avons là. Et avec tout ça, le melon de Kanye n'est pas prêt de dégonfler.
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4.Tourist HistoryTwo Door Cinema Club
A l'écoute des dix titres de Tourist History, difficile de ne pas penser à Phoenix, cet album semblant à mi-chemin entre la décontraction de Alphabetical et la fougue de It's Never Been Like That. Comme les Versaillais, les jeunes gars de Two Door Cinema Club parviennent à trouver le juste équilibre entre couplets sautillants et refrains aussi explosifs que fédérateurs - le tout étant porté par une production taillée sur mesure pour cartonner autant sur les ondes que sur les pistes de danse - et d'arrangements rusés qui tiennent plus de la valeur ajoutée qu'autre chose tant les compositions de Two Door Cinema Club resteraient énormes même s'ils elles avaient été mises en boîte par Yvan Cassar. Après les échecs cuisants qu'ont représenté les LP d'AutoKratz et des Cazals, Two Door Cinema Club permet à la maison au renard de nous prouver qu'elle n'a rien perdu de son flair légendaire.
3.DettmannMarcel Dettmann
Album froid et mystique, Dettmann fait chuter la techno dans le côté violent de la force, dans les méandres d'un univers urbain et impitoyable. Mais ce seront les prouesses sonores qui seront tout d'abord à épingler : album typique d'un ingénieur du son, Dettmann est riche à l'extrême, infini dans la pureté et l'étrangeté de ses textures. L'air qui virevolte autour des kicks intangibles est suffocant (trop presque), hostile et clair-obscur; la moiteur toute dub de ces miasmes étrangle et engourdit les sens. Un boulot à la limite de l'humain. Le reste tient tout autant de la prophétie : boucles hypnotiques répétées ad nauseam, crachotis organiques et certitudes post-techno. Une mécanique qui redéfinit à elle seule les contours d'une frange minimale de la techno telle qu'on ne l'imaginait plus. Trop d'âmes en peine regrettent les heures de gloire des Robert Hood, Basic Channel et autres Monolake; beaucoup dès lors se pâmeront devant ce nouvel exploit étiqueté Berlin.
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2.Before TodayAriel Pink's Haunted Graffiti
Dans les douze morceaux de Before Today, on retrouve les fantômes de Robert Wyatt ("Hot Roby Rub"), Billy Joel ("Can't Hear My Eyes") ou Joy Division ("Revolution's a Lie"), non pas comme dans une visite au musée mais comme si l'on était face à une nouvelle forme, un monstre à mille têtes fait de bouts de pop mainstream, de rock progressif, de funk, de hard fm et de post-punk. Des années lumières devant la concurrence, Ariel Pink peaufine son écriture comme un musicien savant, articule et recompose sa matière comme un sculpteur de génie, avec cette apparat en plus, la fantaisie d'un mec qui n'a peur de rien et qui fait rire même dans sa mélancolie. Before Today, en gardant cette sublime légèreté, cette insouciance de chaque instant, est le plus grand disque théorique de l'année, loin, donc, de l'insupportable pose lo-fi de ses contemporains.
1.A Sufi and a Killer Gonjasufi
A Sufi and a Killer sent la poussière, l'aridité, le funk, le blues et la folie, un trip au cœur d'une Amérique arty et en marge, à milles lieux de l'industrie de l'entertainment américaine dont on nous gave trop souvent. Un disque qui puise son influence dans la musique indienne, l'électronique, les chants de sioux, le bon vieux blues texan, la musique de western spaghetti ou encore le hip-hop voire le jazz. Une voix d'outre-tombe, rocailleuse et plaintive, qui nous égare dans des endroits inconnus ou le son des vinyles grésille parfaitement et les cris percent notre cœur. Un album fou, étrange, précurseur et fatalement magique. Le disque d'un voyage bordélique et céleste en compagnie d'un rasta égaré, d'un tonton dingue de sons qui réinvente les contours de la pop music. Une voix et un style qui touchent au génie.