#10
Dreamstate
Kelly Lee Owens
Ces dernières années, la scène électronique britannique semble baigner dans un océan de béatitude. Une vague qui semble assez contagieuse puisque la dernière en date ayant attrapé ce virus de la "positive attitude " n'est autre que Kelly Lee Owens. Un virage d'autant plus déroutant lorsque l'on se replonge dans la relative froideur des expérimentations mêlant drone, noise et pop de LP.8 paru il y a deux ans sur Smalltown Supermusic. Une musique qui fleurait bon les vernissages d'art contemporain avec sa faune sapée en Arc'teryx, le sourire en option. Un brin opportuniste ce revirement donc ? Peut-être. Une véritable réussite ? Certainement. La force de Dreamstate tient peut-être au fait que malgré ce virage un peu déroutant pour les auditeurs et auditrices de KLO, la démarche et l'énergie semblent authentiques. Du moins ici, on y croit.
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#9
I Got Heaven
Mannequin Pussy
Avouez-le : une partie de vous, au détour des années 2010, a craint de perdre pour toujours les musiques à guitare. Mais c’est dans ces mêmes années que se fomentait la naissance de plusieurs groupes dont Mannequin Pussy, bulle d’oxygène, glouton de punk et de rock indé. On est bien conscients que si vous faites partie du public cible, il est très (très) probable que vous ayez déjà goûté à ce I Got Heaven ; sinon, vous pouvez vous laisser aller, et même vous détendre. La nouvelle génération est prête à reprendre le flambeau avec un respect tout empreint de fraîcheur, au répertoire vaste et la gâchette facile.
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#8
Jungle des illusions vol. 2
Jungle Jack
Carnassier mais bienveillant, courtois mais taquin, Jungle Jack déploie une énergie et une générosité débordantes. Si l’égotrip n’est jamais bien loin, on retient davantage l’espèce de motivation suprême qui déborde de cette autobiographie rythmée comme le Grünt freestyle d’un type qui crève d’envie de se (la) raconter avec beaucoup de style derrière un micro. Sur JUNGLE DES ILLUSIONS Vol. 2 Jungle Jack s'approche souvent de la perfection et justifie sans trop de mal les trois années qui séparent les deux volumes. Divertissant son public avec un talent et une gouaille uniques, cette plume insolente envoie un message clair à la concurrence : il va falloir désormais composer avec lui.
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#7
Ridiculous and Full of Blood
Julie Christmas
Julie Christmas a pris son temps mais a réussi un véritable tour de force en proposant une œuvre où chaque titre est marqué d’une identité propre tout en conservant un fil rouge qui parvient à capter et surprendre. Avec cette voix singulière qui évoque de temps à autres des chanteuses telles que Björk ou Fever Ray, Julie Christmas donne le ton dès les premiers mots de « Not Enough » qui démarre sur une inquiétante étrangeté pour véritablement exploser dans un post-metal des plus massifs. Au fur et à mesure des titres, la chanteuse vomit un univers fait de mélancolie, d’improvisations maîtrisées, d’expérimentations sonores et de folie douce dans des performances vocales hors du commun. Ridiculous And Full Of Blood se veut dense et se garde bien de dévoiler tous ses secrets à la première écoute.
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#6
Diamond Jubilee
Cindy Lee
Écouter Cindy Lee, c'est comme entrer dans un rêve lucide où le passé et le futur se confondent, où la nostalgie et la nouveauté s'entremêlent dans une hallucination. Projet qui était destiné à être oublié car absent des plateformes de streaming, Diamond Jubilee est une suite monumentale de deux heures, un joyau absolu de pop psychédélique, et ce qui se rapproche le plus de la bande-son d'une VHS montrant un monde n'ayant jamais existé. Ici, le drag fait le lien entre le rétrofuturisme et la modernité - une façon de revisiter et de se réapproprier le passé tout en le remodelant à travers une lentille transgressive et avant-gardiste. Cette dualité donne à Diamond Jubilee une impression d'intemporalité, d'attachement au passé mais d'ouverture infinie vers l'avenir. Concrétisation folle d'inventivité de la vision de Cindy Lee, Diamond Jubilee est autant une machine à remonter le temps qu'une boule de cristal.
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#5
>>>>
Beak
Toujours plongé dans un vieux bouillon 70’s où se mélangent motorik teutonne, post-punk anglais et claviers volés aux meilleurs compositeurs italiens de BO de films d’horreur, le quatrième album de BEAK> ne vous perdra pas si vous êtes un·e habitué·e. Et si quelques rais de lumière parviennent à se frayer un chemin jusqu’à la cave humide et poisseuse dans laquelle Geoff Barrow nous a enfermés à double tour, l'auditeur reçoit globalement ce qui se rapproche de l’équivalent musical d’une tablette entière de Lexomil diluée dans un verre de gin. La conclusion qui s’impose est pourtant d’une évidence flagrante : oui cet album est excellent ; et oui, c’est peut-être bien le meilleur d’un groupe qui a suffisamment de recul sur sa formule pour accepter que celle-ci puisse encore être perfectionnée avant même de penser à la modifier.
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#4
Hyperdrama
Justice
On a trop souvent eu le sentiment que la musique de Justice s’écrivait dans des cases Fruity Loops, que chaque composition était un bloc voué à se superposer à un autre bloc issu du même disque ou d'un autre - ce qui était révolutionnaire à l’époque d’Alive 2007 s'est transformé en une mauvaise habitude. Mais Hyperdrama semble libre d’aller se promener là où il veut, capable de chambouler sa narration sans que cela ne sonne déplacé, disposé à insérer des respirations bienvenues entre un rouleau compresseur italo-disco et une turbine new beat. Hyperdrama serait-il donc le premier "vrai" disque de Justice ? La question est piégeuse, tant tout dans cet album puise sa force chez ses prédécesseurs, dont certains traversent pourtant péniblement l’épreuve des années. On a envie de croire que ce quatrième long format de Justice est celui qu’on ressortira le plus régulièrement à l'avenir, tant tout s’y trouve au même niveau, sans révolution mais avec dans le fond du cœur un petit supplément d’âme et de musicalité qui fait mouche.
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#3
Akoma
Jlin
“Je n’ai jamais vu le footwork comme une musique de club”. Disque spirituel, puissant, diffus, Akoma est peut-être le truc le plus mental que vous pourrez écouter dans ce top, et pourtant il y a quelque chose de si touchant dans la musique de Jlin. Dans un même élan, elle fait vivre le présent de sa complexité personnelle et le long travail mélancolique du rapport à son passé et sa communauté. C’est ça, la grandeur de ce disque : proposer un canevas complexe, fait d’une maîtrise clinique des rythmes sous lesquels on est submergé, pris au piège, impuissant, jusqu’au moment où ce côtoiement se transforme en familiarité.
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#2
Brat
Charli XCX
Vous savez que GMD aime bien les pas de côté, mais à un moment, il faut se rendre à l’évidence : le banger intersidéral de l’année, c’est Brat. Tout le monde en a parlé, tout le monde lui a mis des notes exceptionnelles, et c’est enfin l’explosion mainstream pour une artiste qui parvient à surfer la vague d’une manière bien à elle. Le mieux, dans tout cela, c’est qu’elle a percé en étant fidèle à son identité musicale : Charli XCX n’est jamais meilleure que lorsqu’elle se concentre sur les structures caractéristiques du mouvement hyperpop, qui consistent à enchaîner une puissante ballade mélancolique avec les beats EDM les plus dégénérés. Sur Brat, on entend de la French House, un peu de jersey club, quelques passages de breakbeat ou un final acid, et ce n’est jamais indigeste. Parfois, il est bon de nier les évidences, et parfois, mieux encore de s’y plier.
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#1
Absolute Elsewhere
Blood Incantation
Tout ici est réuni pour produire une œuvre définitive : l'ambition conceptuelle, l’esprit de chevalerie, le séquençage, la technique époustouflante et la composition digne des plus grands. Blood Incantation finit de parfaire sa mutation en techno-monstre à travers son obsession pour les claviers analogiques cheesy as fuck. C'est ainsi tout un héritage prog rock et ambient qui vient se caler à la mesure près dans la complexe architecture death pensée par le groupe - et si les hérauts du genre que son Tangerine Dream ne sont crédités que sur un titre, leur influence infuse le disque dans son intégralité. Les cathédrales de son se forment et se déforment en temps réel, le calme et la volupté laissent tour à tour leur place à la tornade dans une succession de permutations tonales complexes et d’ascenseurs émotionnels véritablement épiques. Le disque respire comme seules les grandes œuvres le peuvent : annonçant ses thèmes de manière lisible, Blood Incantation ne loupe absolument rien pendant ces quarante-cinq minutes et propose une œuvre donc définitive.
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