#10
B-Sides
The Coral
Cette très grosse compilation ne ment pas sur ses intentions : foutre dans un seul et même espace toutes les faces B d’une formation qui n’a jamais été avare en inédits ces 20 dernières années. Et puis elle montre combien The Coral était (et est, jusqu'à preuve du contraire) un groupe méticuleux, perfectionniste et d’une régularité effrayante. Car si pour la plupart des groupes des titres ne finissent pas sur un album pour une bonne raison (spoiler alert, ça tient dans 99% des cas à la qualité de l’écriture), on peut imaginer de sacrées passes d’armes pour établir des tracklisting définitifs chez les Anglais. C’est bien simple : à quelques exceptions près, qui tiennent sur le doigt d’une main, tout ici est digne de n’importe quel album de leur impeccable discographie, et tout renvoie à l’image d’orfèvres pop-folk qui leur a toujours collé à la peau. En outre, The Coral n’ayant jamais collé à une quelconque mode pour rester fidèle à un idéal artistique plutôt ancré dans les années 60 et 70, il se dégage de cette monumentale collection une uniformité qui était absolument indispensable vu le menu proposé. À l’arrivée, rien ne dépasse, tout est d’une fluidité exemplaire, et on arrive au bout de ces 2 heures et 30 minutes d’écoute dans un état de plénitude et de satisfaction inespéré.
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#9
Man on the Moon III
Kid Cudi
Le septième LP de Kid Cudi est découpé en quatre actes bien distincts, comprenant chacun entre quatre et cinq titres. Alors que le premier acte pourrait paraître un peu trop Travis Scottesque, c’est, sans aucun doute, à partir de l’acte II que Kid Cudi parvient à retrouver cette précieuse ambiance interstellaire, véritable marque de fabrique de la trilogie MOTM. Avec des titres forts comme « Solo Dolo Pt. 3 » ou, plus tard dans l’album, « The Void », il va de soi que Kid Cudi va totalement chambouler ses fans de la première heure. La larme à l’œil, ces derniers retrouveront sur MOTMIII la touchante mélancolie de leur artiste préféré. Et comme d’habitude, malgré leur étouffante noirceur, les textes introspectifs de Kid Cudi terminent toujours sur une note d’espoir, et d’optimisme bienveillant. Ainsi, en 2020, le kid de Cleveland réalise un incroyable retour aux sources, inattendu, mais absolument incontournable pour ceux qui le suivent depuis A Kid Named Cudi.
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#8
Xerrox vol. 4
Alva Noto
Que fait-on en 5 ans ? Relativement peu vous dira un homme politique, généralement quelques minutes avant d’annoncer sa candidature à sa réélection. Dans cet intervalle de temps, Carsten Nicolai, lui, a restructuré son label, poursuivi sa saga uni, repris The Cure, collaboré avec Iggy Pop ou encore continué sa collaboration avec Ryuichi Sakamoto. Avec la sortie de Xerrox, Vol. 4, qui reste la meilleure nouvelle du lot, le producteur délivre une œuvre absolument essentielle dans le paysage de l’ambient moderne, voire de la musique moderne dans sa volonté de remettre le temps et son passage au centre de la démarche, de refuser l’immédiateté et les dérivatifs.
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#7
Bizarro
France
Sur les albums de France, qui sont tous les live, on entend invariablement la même piste, sans titre, souvent jouée au milieu du public, parfois dos à celui-ci, assez rarement sur une scène traditionnelle. Ce morceau sans titre, il s'étire sur une durée qui varie en fonction du lieu, de l’atmosphère et de l’humeur du jour – comptez entre 30 et 70 minutes. Il en va de même pour la cadence imposée à ce mélange tourbeux de drone, de kraut et d’expérimentations néo-trad joué avec une batterie, une basse et une putain de vielle à roue électrifiée – cet instrument à cordes moyenâgeux que le commun des mortels associe davantage à un reportage dans le 13 heures de Jean-Pierre Pernaut qu’à l’un des groupes les plus essentiels de l’Hexagone. En un mot comme en cent : essentiel. Et cette année encore, France nous a gratifié de nouveaux disques. On avait mis la note maximale à Far out Far West sorti en tout début d’année, et on l’aurait également fait pour Bizarro si on avait pris le temps de vous parler de ce CD-R sorti en 50 exemplaires en plein été. Si c’est lui qu’on a décidé d’inclure dans ce classement, c’est parce que c’est le France dans sa forme de transe la plus immédiate et la plus efficace qu’il nous est donné de se prendre en plein tronche sur ces 35 minutes de folie hallucinatoire pondues par ce groupe aussi unique qu’essentiel.
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#6
Untitled (Rise)
SAULT
Rarement en 2020, on aura entendu un disque aussi exaltant. Comme sur Untitled (Black Is) sorti quelques mois plus tôt, SAULT fait étalage d’une maîtrise absolue de son sujet, et à tous les niveaux. Qu’il se balade sur des territoires soul, hip hop, disco, pop ou carrément hybrides (rappelant en ce sens pourquoi Gorillaz a été un groupe si important), le projet s’offre à nous avec une efficacité mélodique et une décontraction qui laissent pantois. Jamais on ne sent SAULT dans le dur, jamais le groupe ne laisse transparaître une quelconque douleur dans l’effort. Rentrer dans l’univers façonné par SAULT, c’est accepter de passer par toutes les couleurs, par toutes les émotions. C’est s’imaginer rire et danser un instant, et avoir envie de chialer comme une madeleine deux minutes plus tard, pour remonter sur la table avec un slip sur la tête et le regard encore embrumé la seconde d'après.
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#5
Modus Vivendi
070 Shake
En décidant de confier une partie de la production de son album à Dave Hamelin, batteur des défunts The Stills, et l’autre à l'éminence grise Mike Dean, multi-instrumentiste de génie et bras droit officieux de Kanye West, 070 Shake a pu façonner un R&B sombre dont les textures futuristes viennent habiller une forme de détresse, elle, bien actuelle. Repoussant la facilité, sa musique évolue constamment en contraste et la puissance d’une production comme "Divorce" nous confirme qu’à défaut de trouver un modus vivendi, les trois artistes ont définitivement trouvé leur modus operandi. Si la forme de Modus Vivendi apparaît singulière à bien des égards, c’est surtout dans le fond que Shake arrive à faire de cet album une pièce unique. La détresse dans sa voix et son flow hypnotique en font l'ambassadrice de tous les écorchés vifs, plus occupés à rêver leur vie qu’à s’investir dans le monde réel.
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#4
Fetch the Bolt Cutters
Fiona Apple
Il est l’heure d’offrir à Fiona Apple le triomphe qui lui appartient, elle qui nous a inculqué la patience à la carotte plutôt qu’au bâton en installant un rythme de livraison entre 6 et 8 ans. L’avantage de poser ces conditions dès le départ, c’est que nous sommes rarement déçus du résultat. Car, oui, Fetch The Bolt Cutters est un disque important. Poursuivant son cheminement, ce cinquième album épluche ses thèmes de prédilection avec une plume toujours aussi redoutable et de nouvelles histoires pour en faire le tour : les amours qui s'éteignent, la perte d'un être cher, le besoin d'être aimé, les humiliations, la rage, l'épuisement. Et lorsqu’il s’agit d’exprimer tout ce bouillonnement, Apple fait preuve d’une liberté totale. Tout ce qui est à portée de main devient un instrument potentiel, son corps entier devient une caisse de résonance. Fetch The Bolt Cutters demande certainement du temps et de l’énergie pour être apprivoisé mais c’est aussi un album qui procure ce plaisir inégalable de découvrir une nouvelle couche à chaque passage et de vous faire changer d’avis chaque jour quant à votre morceau préféré… ou détesté.
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#3
Mestarin kynsi
Oranssi Pazuzu
S’il y a bien une courbe dont on apprécie la croissance exponentielle, c’est celle qui mesure la progression d’Oranssi Pazuzu. Avec une constance remarquable, le groupe finlandais est parvenu à hisser son niveau sur chacun de ses albums. La recette de son succès ? Proposer un black metal qui n’en a que l’apparence, solidement épaulé par des compositions qui puisent plutôt leur inspiration dans un rock psychédélique bourré de références aux vieux films de SF. Et en 2020, Oranssi Pazuzu s’est promené sur le toit du monde. À l’instar de Yob ou Amenra qui ont ressuscité le doom en lui injectant une dose de spiritualité, les Finlandais écrivent seul dans leur coin l'une des plus belles pages du métal actuel. Pourtant, en sortant de cet album, on se demande si on a vraiment écouté un disque de métal, tant l’idée d’expérimentation inédite domine, pour un plaisir de tous les instants qui nous rapproche autant des productions de BEAK> que des détonations de Mayhem. Ahurissant de maîtrise et d'originalité.
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#2
Pain Olympics
Crack Cloud
Cette capacité à faire avancer le schmilblick plutôt que le regarder bêtement, personne dans le rock ne l’a mieux incarné en 2020 que Crack Cloud, collectif canadien pour qui la musique est un bon moyen de ne pas replonger tête la première dans les affres des drogues dures. Si les raisons qui ont poussé ces jeunes gens à se réunir sous une même bannière est une accroche tout à fait louable, c’est toujours pour sa musique que Crack Cloud a su faire parler de lui, et Pain Olympics enfonce bien violemment le clou. Sur base des états de service du groupe, on aurait tout à fait pu se satisfaire d’un disque reprenant une recette à base de post-punk et de funk qui a déjà fait ses preuves. Mais non, Crack Cloud a su déjouer tous nos plans avec un album lunaire, qui est un peu au post-punk de 2020 ce que le Serfs Up de la Fat White Family représentait pour le garage l’année dernière : un reboot du logiciel qui nous rassure sur la capacité du rock à pouvoir se réinventer, à cramer ses icônes pour en sniffer les cendres.
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#1
L'Ère du Verseau
Yelle
Aurait-on pu mettre Yelle en tête de notre classement il y a presque quinze ans, lorsqu’elle était partout avec sa reprise de “À cause des garçons” et son remix de Tepr devenu hymne tektonik ou de son diss track de TTC « Je veux te voir » ? Ou même en 2011, lorsqu’elle sortait son second disque, Safari Disco Club ? C’est très incertain. Déjà, parce que depuis toutes ces années, sa musique a beaucoup évolué. Matures, subtiles, dynamiques, les productions de Yelle (et de son acolyte / partenaire GrandMarnier) sur L’ère du verseau sont une leçon d’electro-pop, autour desquels se brode une écriture limpide et incisive. En à peine 33 minutes, le disque passe de tube efficace en tube efficace, nous faisant oublier son ancien statut d'icône fluokids pour afficher son vrai visage : celui d’une grande, très grande artiste de la pop française. Mais cette première place n’aurait jamais pu advenir sans un changement de perspective sur la place des femmes dans la musique. Écoutées, prises au sérieux, entendues sur les violences du milieu, notre rapport à cette musique créée et interprétée par des artistEs s’en retrouve facilité. On parlait certes déjà de Pop-Up en 2008, mais avec notre regard de l’époque, on n’aurait probablement pas osé (ou même pensé) la mettre à ce rang. Aujourd'hui, les choses ont changé, et cette décision n'a même pas fait débat au sein de la rédaction, et cela pour toutes les bonnes raisons.
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