CTM Festival 2020
Berlin, le 30 janvier 2020
S’il y’en a bien un que je n’attendais pas ce soir, c’est Squarepusher et pour le coup, encore moins après le retournage en règle que je viens de me prendre. Je suis rarement nostalgique, et même si sa musique a bercé mes jeunes années de fan d’IDM, je n’ai jamais fait partie de ses plus fervents défenseurs (et entre-temps son projet robot, au secours). Il est sur une scène un peu surélevée, et la totalité du mur de béton derrière lui est occupée par d’immenses vidéos qui glitchent à qui mieux mieux. Ça ne rend néanmoins pas vieillot du tout et on échappe au syndrome “je vous projette mes meilleurs fonds d’écran ». Niveau musique, ça suit aussi carrément. Le monstrueux système son du Berghain aide évidemment, mais le live, tout en restant IDM pur jus, emporte l’adhésion quasi immédiatement, sans paraître daté. Ça drille dans tous les sens, breaks jungle sur breaks jungle, ça glitche à foison et la piste de danse est en surchauffe. Ça a de quoi frapper les presque vétérans dans mon genre. Dans mon souvenir, l’IDM ne se dansait pas vraiment. C’est comme ça que des festivals comme les Siestes électroniques toulousaines en sont venus à développer d’autres manières d’approcher cet objet musical. Mais le rythme de la danse s’est terriblement accéléré aujourd’hui, comme cela nous le sera prouvé tout au long de cette édition du CTM.
Je ne suis donc même pas vraiment sûr que la musique de Squarepusher ait tant bougé : se serait plutôt en quelque sorte nous qui l’avons rattrapée. Les revival Jungles, Drum and Bass, Gabber ou encore le footwork, la juke ou le Nightcore sont passés par là pour nous faire entrer de pleines jambes si j’ose dire dans ce grand accélérateur de particules Made in UK.
Quelque part, l’IDM est passée d’une musique du futur à une musique du présent : une musique qui reproduit fidèlement l’avalanche de stimuli de l’ère du short attention span et de la sollicitation permanente. Gros live donc, the drill deal, ou the real drill, à vous de choisir la pirouette qui vous convient le mieux.
Je me refais la volée de marches jusqu’au Panorama, puisqu’on ne va pas se mentir, j’ai un « soft spot » pour Gigsta. Cette Belge un temps exilée à Rennes est désormais résidente à Berlin où elle mène des recherches universitaires sur la musique de club. Au-delà de ça, c’est un DJ versatile, qui impressionne autant par ses skills que par la diversité de sa collection. Pour ce set, elle fait ce qu’elle sait à mon sens le mieux faire : la fête lente, la fête dans ta tête et dans tes pieds. Ça prend son temps et ça alterne les gros cut de hip-hop pétés, les roulements de derbuka et le wobble straight from bristol. Tout le monde a l’air de bien s’amuser et elle finit en enfilant la cagoule de son costume de crocodile. Comment ne pas faire confiance à quelqu’un qui fait son set au Panorama en costume de crocodile ?
En bas, sur une petite scène sur le côté du Berghain, c’est Virgen Maria qui a pris les commandes. Sur le papier, je ne sais pas trop quoi penser de son usage terriblement efficace d’Instagram, de son mélange de discours pro-sexe et de ses relents de makina et de reggaeton de supermarché. Elle joue nue allongée sur la table coiffée d’une auréole en néon, les yeux au ciel, et manipule la table du bout des doigts. Derrière, des vidéos la mettent en scène en centaure, en train de manger des noodles sur ses seins, ou encore en pleine séance de perche à selfie au top d’un gratte-ciel de Dubai.
Si je comprends que l’on est totalement dans le domaine de la performance, ou plutôt de la « perf » pour parler comme un galeriste cocké, ma bienveillance naturelle comme ma proximité précédemment avouée avec la plateforme SHAPE m’interdisent d’être trop méchant. Mais je ne suis pas convaincu, du tout, du tout. Je reste quand même jusqu’au bout dans l’espoir qu’il se passe un truc et là : rien.
J’erre encore un peu pour digérer ce trop-plein de vide et j’aimerais avoir encore la force de m’intéresser à Lulli, une artiste labellisée psycore du Nouveau-Mexique. Tous les délires psytrance étant bizarrement éloignés de la presse et de la visibilité globale, c’était un alléchant programme. Ça tape encore très sec et plutôt très droit, ça va comme d’habitude cette année, encore très vite et je me demande finalement si j’avais pas un peu fantasmé le truc. Je ne reste pas assez longtemps pour me faire un avis définitif et remets donc mes recherches psycore à une ultérieure session d’insomnie internet. À tchao bonsoir.
AROUND THE WORLD - Samedi 1er Février 2020
C’est le dernier jour pour moi et, ne nous voilons pas la face, l’énergie s’est un peu raréfiée, malgré mon ascétique régime miracle eau pétillante / club maté. J’ai été voir l’installation You Will Go Away One Day But I Will Not de la chercheuse et artiste Maria Thereza Alves et de la musicienne colombienne Lucrecia Dalt au jardin botanique, ce qui m’a permis de respirer un peu après tout ce béton. C’est une pièce immersive dans les serres qui s’appuie sur des discussions et des prises de son avec les tribus Guarani. Je ne sais toujours pas si je dois me satisfaire du superbe sound design et de la variété de la pièce ou y voir une bande-son alternative de Natures et Découvertes un peu facile.
S’ensuivent les fameuses limbes du festival urbain : ce moment où tu ne sais pas si tu vas voir une install, manger une pizza ou faire un tour à l’hôtel, mais où tu préférerais surtout ne pas avoir toutes ces questions à te poser.
Je finis quand même par me rassembler comme on dit, et rejoindre la soirée qui se déroule cette fois au Schmuz, un centre communautaire / club LGBTQI+. Dès la queue, parce que oui, à Berlin et au CTM on ne se lasse jamais de faire la queue, on sent que l’ambiance ici sera différente. Les gens dans la file sont plus relax, on parle avec notre quadragénaire de voisine qui, elle aussi et bien que Berlinoise, n’apprécie que moyennement d’attendre des heures dans le froid. Elle nous raconte comment elle est passée hier soir d’un coup de vélo au Berghain vers 3:00 pour voir si Squarepusher était visible, mais qu’elle avait capitulé suite à l’attente. Ce rapport au temps et aux horaires des Berlinois ne manquera jamais de me sidérer.
À l’entrée, l’ambiance relax se confirme avec la secu qui argumente en rigolant que ce soir la queue est schnell schnell (on a attendu 40 minutes, la fin sous la pluie), ce qui déclenche l’hilarité générale. À l’intérieur, on est à nouveau dans un style béton brut, mais bien moins impressionnant que le gigantisme de cathédrale du Berghain. Y’a des murs colorés un peu partout, des trésors de guerre de précédentes soirées, des chaussures drags, des vieilles affiches, et des écrans vidéos qui diffusent les teasers des prochains évènements, tous plus fun les uns que les autres - mention spéciale allant à une soirée helicobite dont j’ai oublié le nom et une teuf à l’esthétique GTA au patronyme fabuleux : Daddy Issues.
Avec toute cette attente, j’ai raté deux trucs sur ma shortlist, Hibotep et Y-dra, et c’est Teto Preto qui démarre. Phénomène queer de Sao Paulo, c’est un vrai groupe sur scène, avec percussions, claviers, et autres cuivres. On est dans une relecture contemporaine et revendicative de la musique afro-Cubaine, avec des éléments très house. C’est chaud et sensuel, et il faut bien l’avouer, l’énergie déployée fait plaisir à voir. On sent dans la salle que le truc est super attendu par les festivaliers et/ou les réguliers de l’étape, la chanteuse Laura Diaz est déchaînée et arbore un look glam-cyberpunk qui fait forte impression tandis que son acolyte, le performer français Loïc Koutana vogue à qui mieux mieux sur le devant de la scène. Toute cette positivité après l’ambiance plutôt « noir c’est noir » des soirées précédentes soulage (tu l’as ?). Ceci étant, je ne rentre pas vraiment dedans et je me traine gentiment vers la salle adjacente.
C’est Rizan Said qui occupe une petite scène sur le côté de la salle. Prolifique musicien syrien, il déroule ici des grosses envolées de dabke, la musique de mariage popularisée par la désormais star mondiale Omar Souleyman. Difficile de rester insensible à cette musique ultra festive, à la sècheresse des claps et aux trémolos des riffs de zurna que Said pitch bende d’une main de maître. Il est accompagné par un compatriote, la seule personne ultra stoïque de la salle, qui restera de marbre sur le côté de la scène avant d’entonner le Leh Jani du susnommé Souleyman pour le plus grand plaisir de l’assistance. Ce petit coup de soleil syrien au milieu de ce club gay foutraque de Berlin la glaciale me remet un coup de fouet, juste à temps pour aller voir Bbymutha.
Un énorme lettrage est projeté à son effigie sur l’écran derrière la scène, avec un serpent boa argenté qui glisse langoureusement entre les lettres. Elle arrive et frappe, direct, à l’américaine, avec un flow lent et puissant. Mère célibataire de deux paires de jumeaux, Bbymutha incarne un hip-hop féministe ultra sexuel, lent et foncedé comme du Gucci Mane. N* word all the way, bitches tous les deux mots, c’est frais, c’est gros, ça casse plein de clichés. On sent aussi que la relation avec la Berlinoise Born In Flamez qui assure les platines derrière elle est forte et met tout le monde en confiance, c’est un beau live de rap vicié, je ne boude pas mon plaisir.
Les Belges de l’étape, Borokov Borokov assènent leur live à 8 mains dans la salle d’à côté. Ils jouent au milieu du public, c’est joyeusement débile et terriblement efficace. C’est assez éclectique en termes d’influence, comme tout bon projet belge, mais ça mélange en vrac de la grosse techno qui tache à des éléments new beat, des plans plus electro ou acid, voire un petit côté synth pop. Le tout est emballé de bruits de mouettes incongrus, de sample de voix en flamand incompréhensible, le tout joué 100% machines. Pour être honnête, je ne comprends pas comment j’avais fait pour ne pas entendre parler de ce projet avant les 6 derniers mois, je ne serais pas étonné qu’ils squattent bien vite tous vos festivals d’été.
Bien que j’essaie de faire remonter mon taux de caféine à grand coup de Maté Maté (équivalent ignoble de son concurrent présent dans tous les night shop, mais bizarrement absent de tous les clubs où j’ai été) j’arrive gentiment sur la réserve, mais je veux encore au moins voir 3Phaz, recommandé par son compatriote ZULI, fer-de-lance d’une scène égyptienne zinzin qui va faire très mal quand tout le monde sortira la tête de son fondement. Sur une base shaabi ultra percussive, 3Phaz brode des motifs qui ne sont pas sans évoquer le meilleur de Shackleton et du dubstep « de bon goût », sauf que c’est bien plus rapide. Au milieu de tout ça, y’a pas mal d’enchaînement à base de gros pitchs drops où tout semble ralentir, se casser la gueule, avant de repartir. Comme chez ZULI on est saisi par la manière dont cette musique occupe tout l’espace, qui vient nous rappeler que Le Caire c’est 22 millions d’habitants, et que ces gens vivent dans un environnement autrement plus saturé que par chez nous. Il y’a chez tou·te·s ces égyptien·ne·s une urbanité très présente et je me laisse gentiment défoncer le cerveau et ce qu’il me reste de genoux par ce bon 3Phaz.