CTM Festival 2020
Berlin, le 30 janvier 2020
LOOSE YOURSELF TO DANCE - Vendredi 31 Janvier 2020
Histoire de revenir à Bruxelles moins idiot, je passe mon vendredi en conférence. Le programme du CTM est extrêmement riche sur le sujet et aborde toujours des thématiques très contemporaines. Genre, transgressions, écologie, nouvelle économie de la musique sont autant de thèmes abordés cette année, et j’assiste surtout à une présentation géniale de Sacha Geffen sur la figure de la transgression de genre en musique, qui mêle Farinelli et Britney Spears, Laurie Anderson et Sophie. Ça me donne envie de lire son bouquin, Glitter Up the Dark: How Pop Music Broke the Binary. Du panel suivant sur la transgression, je retiens un conflit de générations évident sur le sujet, mais surtout cette quote de l’icône Juliana Huxtable sur laquelle je vous laisse méditer « Est-ce qu’en 2020, la plus grande transgression n’est pas simplement d’être gentil ». J’espère ne pas trop déformer son propos, mais c’est en tout cas un motto auquel je vais essayer de me tenir.
Je suis ensuite allé voir Deathprod, l’un des pères fondateurs du dark ambient, à BetonHalle. C’est un grand théâtre contemporain à l’architecture imposante et on est accueilli par une longue pente en béton qui plonge dans les entrailles du lieu, surmontée d’un gigantesque néon prônant les valeurs de la pièce du Norvégien : ANTIFASCIST.
Malgré ce programme auquel je suis évidemment favorable, je ne suis pas trop convaincu par le concert. Non pas que je sois insensible aux délires power ambiant chers à Ben Frost et à tous les réfugiés du métal, mais soit ça manque d’une narration plus présente, soit je trouve que les moyens mis en place - en gros du synthé modulaire sur un gigantesque système dans un beau théâtre tout propre - sont disproportionnés par rapport à ce que j’en retire émotionnellement. On accueillait récemment Maria W Horn à Bruxelles qui, dans une esthétique un peu similaire, me semble plus renouveler le genre. Le démarrage tout en douceur m’aura au moins permis une micro sieste pour me préparer pour la suite.
Je vous épargne mon couplet sur la queue, sachant que je me débrouille ce soir pour rentrer plutôt rapidement. Bien m’en a pris puisque j’arrive juste à temps pour une création spéciale du festival (attention c’est plus long qu’un nom de groupe de post rock) : Gabber Modus Operandi, Wahono and the Nakibembe Xylophone Troupe.
On commence à bien identifier les Gabber Modus Operandi, qui ont tourné leur performance mémorable un peu partout en Europe. Ce duo d’Indonésiens barrés et rigolards mélange jathilan et jangdut koplo, deux styles traditionnels, avec tout ce que la musique plus occidentale (pour le dire vite) compte de genres survoltés, du gabber au footwork en passant par la noise. Whaono est un artiste pluridisciplinaire, notamment actif dans le groupe Uwalmassa qui s’inspire de la tradition indonésienne pour en produire une relecture moderne. Il me paraît être le trait d’union avec le ou plutôt les derniers protagonistes de ce projet improbable sur le papier, la Nakibembe Xylophone Troupe, un ensemble de percussionnistes qui joue du xylophone embaire, un instrument géant se jouant à huit.
Avec tout ça, on a une bonne douzaine de gugusses au plateau. Ican Harem, le chanteur de GMO débarque et chauffe la salle : son style ultra coloré et son t-shirt Sepultura plein de flammes détonne dans la grisaille du Berghain, et le mec est un vrai showman. Il braille à qui mieux mieux, bientôt accompagné de gros kicks distordus. Quand il commence à être rejoint par l’embaire, on est frappé par la beauté du timbre de l’instrument et par l’étrangeté d’entendre ces sonorités boisées dans un tel contexte. Huit à frapper leur bousin, ils rivalisent rapidement en vélocité avec l’électronique, et c’est une vraie session de transe qui s’installe, entrecoupée par les hurlements, les harangues et les gesticulations d’Ican Harem, qui ne tarde pas à allumer ses mythiques gants lasers, et à projeter des faisceaux verts dans tous les sens. C’est tout à la fois dansant, inédit et drôle. On sent que tous ces gens prennent plaisir à être là, et je me rends compte qu’on a surement un peu perdu le plaisir de l’effet de nombre du « bœuf » au passage à l’électronique, qui se recrée peut être dans une certaine mesure avec les Back to Back.
C’est une standing ovation quand la troupe termine son set.
Durant mes pérégrinations de la journée, je suis tombé sur Derek Debru, Belge résident en Ouganda et co-responsable des opérations chez le label et festival Nyege Nyege. Il était très excité à l’idée de voir l’une des dernières cartes dans sa manche se produire au Panorama Bar, un musicien malien, DJ Diaki. Alors qu’il m’en parle, le nom m’évoque vaguement quelque chose et je finis par me souvenir qu’Errorsmith, peut-être l’une de mes rares idoles, était récemment à la recherche d’un drum computer sur les réseaux sociaux pour le musicien. Il n’en fallait pas plus pour me convaincre d’en faire l’un de mes musts-see de la soirée. Je me pose donc au bar en attendant que ça commence et là, cut : turbine direct, sans transition, 160 bpm minimum, Diaki est parti et on ne l’arrêtera plus. C’est une bande-son de la coupe du monde de l’apocalypse dans ma tête : 150 000 vuvuzelas, des sifflets, des tambourins, du soukouss, du coupé décalé, des arpèges de synthé random, tout ça sous forme de micro loops qui s’enchainent plus ou moins concomitamment. Je suis immédiatement sur la piste tout suant et je ne parviens plus à m’arrêter, notamment parce que Diaki ne fera jamais l’ombre d’un break, d’une pause, d’une respiration. C’est une pure musique de fête, et ce n’est pas un hasard si en dehors de son radio show hebdomadaire Diaki officie dans des mariages. Quand on s’approche du boot du Panorama, on découvre un petit monsieur tout sourire, la cinquantaine d’années, et on voit bien que derrière son ordinateur le king de la turbine malienne prend autant de plaisir que nous, au moins aussi médusé par l’accueil qui est fait à sa musique qu’on peut l’être par sa réception. On chancelle tou·te·s en hurlant quand ça s’arrête, avec l’impression de s’être pris une séance de crossfit impromptue dans les jambes et un feu d’artifice de l’espace dans la tête, façon Tim and Eric Awesome Show.
Si jamais tu as des plans festivals pour cet été, tu peux les faire selon l’agenda de DJ Diaki, parce que tu ne verras rien de mieux cette année. Mind, blown.