You Are The Quarry
Morrissey
Septembre 2002. Stephen Patrick Morrissey se produit sur la scène de l’Olympia à Paris, après plusieurs années d’absence. Pas de nouvel album à son actif depuis le franchement faiblard Maladjusted de 1997. Pas même une nouvelle compilation à promouvoir. Non, Morrissey est là avec ses chansons, quelques pépites de la période The Smiths, beaucoup du début de sa carrière solo (Viva Hate particulièrement bien représenté) et une poignée de nouvelles chansons. Des nouvelles compositions, il faut bien le dire, assez bluffantes. En tout cas, suffisamment accrocheuses pour que la sortie de You Are The Quarry suscite toutes les curiosités, là où quelques années auparavant, seule l’ironie aurait motivé la moindre écoute. Il faut dire que l’ancien leader des Smiths a beaucoup déçu par le passé : difficile d’effacer des mémoires un disque aussi ridicule que Kill Uncle. Et comme pour se compliquer encore la tâche, voilà notre Moz qui confie son nouveau disque aux petits doigts boudinés de Jerry Finn, faiseur de merveilles pour Sum 41 ou encore Blink 142.
Zappons tout de suite les craintes concernant la production : certes, elle est un peu pataude, manquant cruellement de finesse sur les titres les plus calmes, mais elle assure le minimum en mettant bien en valeur la voix de Morrissey, l’une des plus belles apparues depuis deux décennies. Passons directement à ce qui fait de You Are The Quarry l’une des plus belles réussites de Moz depuis la séparation des Smiths : les chansons. Tous les inédits de l’Olympia sont là, du brûlot quasi-punk "Irish Blood English Heart" à la complainte de "I Like You", en passant par l’immédiat "First Of The Gang To Die" (un potentiel single en or) et le vitriolage en règle de "The World Is Full Of Crashing Bores". Finies les vaines tentatives d’intellectualisation musicale, ici la dynamique est lumineuse et enjouée, gorgée d’énergie et de mélodies radieuses, croisement idéal entre deux des pierres angulaires de la carrière solo du chanteur, Your Arsenal et Vauxhall & I. Parmi les plus belles réussites du disque, il faut citer le délicat "Let Me Kiss You", écrit pour Nancy Sinatra, et qui flirte avec un romantisme quasi-juvénile. Ailleurs, l’épique "I Have Forgiven Jesus" rappelle les Smiths de la période Strangeways Here We Come, avec ses nappes de claviers et sa mélodie instantanément identifiable.
Même les titres les plus faibles s’en sortent avec plus de panache que par le passé : le gueulard "How Could Anybody Possibly Know How I Feel ?", s’il n’apporte pas grand-chose au disque, semble taillé pour le live et les stades, et "Come Back To Camden", proche de l’autoparodie, est sauvé par une performance vocale irréprochable. De toute façon, il y a une telle satisfaction à retrouver Morrissey en pleine forme que l’on ferme aisément les yeux sur les imperfections du disque, à commencer par sa pochette du plus mauvais goût, cherchant à illustrer le titre de l’opus (Quarry signifiant littéralement la proie, le gibier). Après sept ans de silence, c’est un véritable coup de poker que réalise le mancunien, car il y a fort à parier qu’un nouvel échec aurait été fatal à sa carrière déjà vacillante. Maintenant, quant à savoir s’il s’agit là d’un nouveau départ ou d’un dernier sursaut d’orgueil… Joker !