Wilderness
Brett Anderson
Pendant longtemps, Brett Anderson a été l'indécrottable fan de Marc Bolan, le petit Gary Glitter qui voulait être Bowie à la place de Bowie, l'héritier un peu lourdingue d'une époque glam totalement révolue et dont presque plus personne ne voulait entendre parler. Avec Suede, son groupe, il a sauvé le rock au début des années 1990 puis répété les mêmes leitmotivs pendant une dizaine d'années, pour finir par lasser tout le monde. Puis, avec The Tears, il a encore reproduit les mêmes schémas, ressassé les mêmes "Obsessions", réexploité le même champ lexical jusqu'à l'écœurement.
Enfin, Brett Anderson a changé. Il s'est métamorphosé, à l'aube de la quarantaine. Le dandy glam et androgyne est devenu dandy, tout simplement. Il a avoué son goût pour Nick Drake, Low ou Goldfrapp période Felt Mountain. Son premier album solo, sorti il y a un peu plus d'un an seulement, avait déjà frappé les esprits par l'extrême humilité et la touchante sensibilité dont le jeune quadra s'était paré. Ce second album, Wilderness, poursuit fort heureusement dans la même veine en faisant preuve d'une plus grande radicalité encore.
Cet album fait suite à une grande tournée au cours de laquelle Anderson s'est essayé à une pratique pourtant loin d'être inédite : le concert unplugged. Une date, en particulier, à Londres le 19 juillet 2007, a permis à l'ancienne star un peu pataude de découvrir les mérites du dépouillement, la force de la pondération, lui qui jusqu'alors en a toujours fait trop. Ce concert, qui a été édité quelque temps plus tard (Live at Union Chapel), a incité Anderson à se lancer dans un projet un peu fou, à l'image de Billy Corgan et d'Adore, dix ans plus tôt : sortir un disque au sein duquel chaque chanson, chaque mélodie, reposerait non sur la musique mais sur la voix.
Wilderness en est le résultat fidèle et se révèle être une totale réussite. D'une sobriété à toute épreuve, extrêmement direct, loin de la surproduction dégoulinante des derniers Suede (en particulier l'insupportable et pourtant million seller Coming Up, 1996), l'album ne hausse jamais le ton et enchaîne les douces balades, mélancoliques, tristes, des histoires d'amour déçu, d'une beauté assez époustouflante et totalement inattendue de la part de leur auteur, dont la voix chaude, exceptionnellement belle, extraordinairement classieuse, surmontée d'un piano et de quelques cordes, ne laisse pas d'émerveiller. Qui peut se targuer aujourd'hui de posséder un tel organe, reconnaissable entre mille ? Qui peut se vanter, à l'heure actuelle, de posséder un tel charisme, même vêtu d'un pull noir sans forme, d'un jean trop long et de vieilles Stan Smith ?
Parmi les neuf pépites présentes sur le disque figurent notamment "The Empress", d'une incroyable délicatesse, ainsi que "Clowns" et "Back to You", déjà présentes sur les albums live de la tournée de l'an passée. "Back to You", en particulier, marque les esprits grâce à la participation étonnante et bienvenue d'une Nico moderne en la personne d'Emmanuelle Seigner, venue chanter (presque faux, mais c'est touchant) un couplet. Comment ne pas dire un mot, enfin, de "Symmetry", le morceau bonus offert avec la version électronique de l'album, d'une beauté incommensurable ? Ceux qui n'attendaient plus grand-chose de Brett Anderson depuis des années se sont lourdement trompés.