To The 5 Boroughs
Beastie Boys
Au royaume industriel de la musique et du disque, six ans est un intervalle très long entre deux disques. Même pour un groupe n’ayant plus rien à prouver à personne comme les Beastie Boys. Car depuis la sortie en 1998 du génial Hello Nasty, le phénomène Eminem est venu bouleverser le milieu traditionnellement black du hip-hop américain et bousculer les B-Boys sur leur plateforme d’exception tandis que les Neptunes et Outkast empiétaient sur les plates-bandes du trio en intégrant toujours plus d’éléments du rock à leur musique. Pourtant, les vérérans du genre et anciens branleurs patentés reconvertis en défenseurs de la cause tibétaine comptent encore, ce qu’est venu rappeler le buzz monstrueux qui a précédé la sortie de cette sixième galette longue durée.
Le cru 2004 des Beasties tient en deux concepts : old-school et anti-bush. Politiquement incorrect, militant et revendicateur, To The 5 Boroughs se veut nettement plus axé sur les textes que ses prédécesseurs. Exit l’humour et les bidouillages rigolos qui étaient la marque de fabrique des new-yorkais depuis leurs débuts. A la place, les (presque) quadragénaires attaquent le squatteur de la Maison Blanche ("ils faut lui reprendre le pouvoir" scandent-ils sur "That’s It That’s All") et font une déclaration enflammée à leur ville ("An Open Letter To NYC"). Sur un ton résolument sérieux, Mike D, MCA et Ad-Rock font leur boulot de porte-parole surexposés des contestataires en tous genres du moment et apportent leur pierre à l’édifice électoral de cet été 2004 - pas tant pro-démocrate qu’anti-George W. Mais voilà, le mot est lâché, les trois MCs ont sorti un disque sérieux. Et, il faut bien l’avouer, parfois rasoir.
Que les fans se rassurent, To The 5 Boroughs n’est pas le premier mauvais disque d’une discographie jusque-là sans faute. Non, il est simplement bon. Pas même très bon, encore moins excellent. Juste bon. Ou solide, si vous préférez. Est-ce un mal ? En soi, non. Mais il faut bien avouer que les Beastie Boys nous avaient habitués à beaucoup mieux. Prenez par exemple le premier single, "Ch-Ch-Check It Out" : efficace, avec un refrain accrocheur et un sample intelligent qui donne au morceau un petit côté cinématographique. Mais maintenant, réécoutez "Sure Shot", "Time To Get Ill" ou "Intergalactic" et comparez. On est très loin du même niveau. En revanche, l’ensemble est d’une régularité exemplaire, avec quelques (petits) pics particulièrement jouissifs : le come-back mis en scène de "Right Right Now Now", le sample du cultissime "Rapper’s Delight" du Sugar Hill Gang sur "Triple Trouble", les mélanges sonores originaux de "The Brouhaha". Non, rien à dire de ce côté-là, c’est solide… Et pourtant, si le disque est beaucoup plus court et condensé que les précédents (45 minutes au compteur, avec une moyenne de 2'30 par morceau), on s’ennuie beaucoup plus vite de par l’absence de réelles accroches ou cassures de rythmes. Tout est très carré, bien enchaîné, presque professionnel. Mais là où les rappeurs gagnent en efficacité, ils y perdent nettement en charme.
Alors bien sûr, le plaisir de retrouver le trio est incomparable. Le mélange des flows reste toujours l’un des plus accrocheurs de la scène hip-hop américaine. Mais alors que l’on rêvait d’un retour en fanfare, on doit se contenter d’un disque en demi-teinte. Espérons qu’au moment de s’atteler au prochain chapitre, le grand guignolesque sanguinolent George sera loin des préoccupations des MCs.