The B-Suite
Krazy Baldhead
Une nouvelle sortie des Français de chez Ed Banger est toujours un petit événement en soi. Non pas que la rédaction soit un fidèle partisan de cette hype cannibale mais bien parce que ce label résonne comme une des plus grosses success story du nouveau millénaire; et comme tout buzz qui se respecte, celui-ci est toujours amené à connaître une situation de crise à un moment ou à un autre. Alors que tout semble avoir été dit en matière de french touch 2.0, que le genre devient une parodie burlesque de lui-même (les Crookers parlent pour moi), Krazy Baldhead a la lourde tâche de produire un disque étiqueté « Ed Banger » à l’heure où le chien semble vouloir manger la main de son maître. Et pourtant les intentions affichées par Pierre-Antoine Grison (« les moqueurs au fond, taisez-vous ») tout au long de ses deux EP (Bill’s Break et Dry Guillotine) donnaient du fil à retordre à la critique, faisant apparaître un petit gars bien plus doué que prévu. C’est donc les deux pieds bien dans la merde et le synthé à bout de bras que le français s’apprête à se sortir de l’impasse vaille que vaille.
Première constatation de taille, l’album étonne. Par sa configuration tout d’abord : conçu comme quatre grandes pièces (appelées ici « Movement ») elles-mêmes subdivisé en chapitres (appelés « Part »), l’album tient le bon bout en se présentant comme extrêmement cohérent tout en se permettant d’imposer librement sa créativité au cœur des quatre longues saynètes. Donc, chose assez rare pour être soulignée pour un disque signé Ed Banger, plusieurs écoutes seront nécessaires pour atteindre le substrat de The B-Suite. Ensuite notre Marseillais étonne par son traitement du son. Krazy Baldhead marche, trottine et court sans jamais souffrir d’un point de côté : en permanence, celui-ci fait varier les hauteurs, les vitesses de croisière en prenant le temps de remplir sa prose de claviers taillés aux millimètres. Le français ne se prive pas de colorer le son de ses traditionnels cut-up, mais ceux-ci sont pour la peine plutôt bien dégrossis et vienne atterrir sans encombre dans la dernière grosse innovation de ce disque : le rapport potentiellement dangereux que celui-ci entretient avec ses influences.
Comme un homme averti en vaut deux, voire trois dans ce genre d’exercice, Krazy Baldhead ne se prend pas au jeu du fourre-tout musical, du moins pas dans les formes dissolvantes auxquelles Ed Banger nous avait habitué jusque là. Si le son est bel et bien imprégné d’influences hip-hop, funk, disco-glam ou rock, Krazy Baldhead marque un bon point en ne dénaturant jamais les sentiers qu’il emprunte : le rock sonne enfin comme du rock (du moins structurellement parlant), le hip-hop comme du hip-hop et le funk comme du funk. Parsemez le tout d’une bonne poignée de claviers de circonstances et vous obtenez un disque étonnamment mature qui se baladera d’un coin à l’autre de votre cerveau écoutes après écoutes, parole de chroniqueur.
Nul ne saurait expliquer ce qu’il s’est passé pour que cet effort de Krazy Baldhead soit aussi bon. L’étonnement est de mise et je ne peux que me résoudre à affirmer que le talent a finalement fini par payer. Finalement, la qualité d’un disque part du constat de son existence, indépendamment du label sur lequel celle-ci décide de surgir. The B-Suite est un beau pied de nez à la génération 2.0 et surtout à ses détracteurs, et Krazy Baldhead, un héros victorieux alors que tout autour de lui, sinon sa patte amoureuse, le présumait perdant. Coup de cœur.