The Age of Understatement
The Last Shadow Puppets
Qui eût cru, il y a seulement quelques mois, que la collaboration des têtes pensantes de deux groupes médiocres à la réputation excessivement surfaite, donnerait naissance à un chef-d'œuvre de pop intemporelle ? Ils nous ont bien eus, les deux jeunots imberbes : Alex Turner et Miles Kane viennent de réussir un joli coup avec leur side project, The Last Shadow Puppets, qui risque de devenir leur projet numéro un vu le succès rencontré un peu partout en Europe. On n'aurait pourtant pas misé un kopeck sur leur partenariat : d'un côté, Turner et ses Arctic Monkeys, gros buzz de 2006, vague repompe des Libertines sans imagination ; de l'autre, Kane et ses Rascals, groupe bas du front né sur les cendres de The Little Flames. Vous n'en aviez pas entendu parler ? On vous excuse.
La légende veut que Turner et Kane se soient rencontrés lors d'une tournée dont les Arctic Monkeys et les Rascals se partageaient l'affiche. Se découvrant des influences communes (David Bowie, Scott Walker, Love, voire Jacques Brel…), les deux gamins ont soudainement envie d'écrire ensemble et de donner naissance à un album en forme d'hommage à leurs idoles de toujours. Ils enregistrent en France, en quelques semaines, avec l'aide d'un Canadien, Owen Pallet, du groupe Final Fantasy et collaborateur régulier d'Arcade Fire, qui les fait bénéficier de son savoir-faire en matière de cordes et d'arrangements. James Ford, producteur des irritants Klaxons et des Arctic Monkeys, supervise le tout.
Le tout, c'est The Age of Understatement, sorti à la mi-2008, et dont les échos ne finissent pas de grossir. Olympia ravageur en août 2008, lutte de haut vol avec Elbow pour la victoire du prestigieux Mercury Prize en septembre (finalement remporté d'une courte tête par la bande de Guy Garvey), The Last Shadow Puppets n'en finissent plus de recevoir des éloges de toutes parts. Et franchement, c'est mérité. Turner et Kane ont tout simplement réussi l'exploit de réaliser l'album dont Neil Hannon (The Divine Comedy) et James Skelly (The Coral) ont toujours rêvé. La synthèse parfaite du Bowie des débuts et des Beatles de la fin. Le genre de disque idéal pour tous les amoureux de la pop intelligente, lyrique et épique.
Emmené par un brillant premier single éponyme, The Age of Understatement est bien plus qu'un hommage ou un pastiche de la pop du milieu des années 1960 : il transcende littéralement ce genre, déjà remis au goût du jour par The Coral et The Zutons depuis quelques années, pour en donner une lecture parfaitement contemporaine, à l'image de l'exceptionnel "My Mistakes Were Made For You", merveille pop dont la finesse d'écriture et la luxuriance des arrangements ne cesse de surprendre, même après une vingtaine d'écoutes.
Magnifique collection de chansons émaillée de réussites incontestables ("Standing Next to Me", "I Don't Like You Anymore"...) toutes délicatement soulignées par un orchestre de cordes à la rare pertinence, The Age of Understatement est un excellent album, extrêmement inspiré, d'ores et déjà un classique, le genre de disque capable de réaliser le fameux cross-over intergénérationnel en plaisant autant à votre maman née dans les années 50 qu'à votre petite sœur de 15 ans, sans jamais céder à la facilité ni renoncer à un objectif de constante exigence, en allant bien au-delà de la simple nostalgie un peu neuneu. De la part de Turner et Kane, c'est surprenant - et c'est un euphémisme !