Ruff Draft
J Dilla
“Before we get this started, let me explain it. It’s Ruff Draft. For my real niggaz only. DJs that play that real live shit. You wanna bounce in your whip with that real live shit. Sound like it’s straight from the ma’fuckin’ cassette! Ruff Draft... Let’s do it.”
Ces quelques mots, prononcés par feu J Dilla en ouverture de ce Ruff Draft, servant de préambule parfait à cette nouvelle sortie de cet artiste pétri de talent dont l'aura créative n'aura commencé à rayonner qu'après sa disparition. En effet, de son vivant, le beatmaker de Detroit ne faisait l'unanimité qu'auprès d'un cercle réduit de passionnés. Mais depuis que la maladie l'a emporté il y a un peu plus d'un an, c'est tout le gotha du hip hop – Kanye West et Pharell Williams en tête – qui semble s'être donné le mot pour conférer à l'oeuvre de J Dilla le statut qu'elle mérite.
Quelques mois après la sortie sur le label londonien BBE de The Shining (excellent album que J Dilla avait en partie composé sur son lit d’hôpital), c'est aujourd'hui l'écurie Stones Throw qui se propose de redorer le blason de J Dilla auprès d’un large public en rééditant Ruff Draft, un EP sorti en 2003 par Dilla sur son propre label et épuisé depuis belle lurette. Et on ne peut que féliciter le label de ce nez fin de Peanut Butter Wolf d’avoir rappelé l’existence de ce disque essentiel de la carrière de J Dilla. En effet, il faut savoir que Ruff Draft est sorti à une période charnière de la carrière de celui qui se faisait alors toujours appeller Jay Dee : débarqué par son label et séparé de la mère de sa plus jeune fille, c’est un Dilla frustré de n’être reconnu que pour ses seuls talents de beatmaker qui se lance à cœur perdu dans l’élaboration de Ruff Draft. Comme le titre le suggère, cet EP se caractérise par un son brut de décoffrage mais se révèle rapidement être d’une efficacité remarquable. Sur celui-ci, J Dilla lève un coin du voile sur la tournure qu’allait prendre sa carrière. Les influences soul/funk des débuts sont encore présentes (le fantastique « Crushin (Yeeeeeah ! ») mais s’estompent pour laisser la place à ces claviers et à ces sonorités électroniques qui allaient notamment faire mouche sur Donuts (« The $ », moment fort incontestable, ou « Let’s Take It Back »). Mélange subtil d’old school et de new school, Ruff Draft témoigne, malgré une production à l'emporte-pièce, d'une finesse assez rare dans le chef de ce producteur irrésistible qu'est Dilla.
Quand on écoute ce flow à mi-chemin entre Mos Def et Common, on peine à croire qu’il ait été si souvent décrié à l’époque où J Dilla faisait encore partie de Slum Village. Véritable diamant brut dont vous ne risquez pas de vous lasser de si tôt, Ruff Draft enchaîne les beats percutants avec ce talent et cette aisance que la planète hip hop aura mis un peu trop de temps à découvrir. Heureusement qu’il n’est jamais trop tard…