Moderat
Moderat
Moderat est un projet chimérique, presque mythologique à voir les espérances que celui-ci provoque à la simple évocation de son nom. Une rencontre qui coulait pourtant de source, mais que jamais l’aventurier ne s’est osé à suspecter par timidité, comme s’il ne fallait pas trop en demander à la musique. Et pourtant, après de multiples reports, le voilà, en chair et en os, prêt pour mettre fin à sept ans d’une interminable attente. L’Allemagne a toujours tenu le bon rôle en matière de musique électronique, et si son omnipotence a toujours su fricoter avec la grande épopée minimale, la traversée techno/electro envisagée par Bpitch Control a su conférer à la nation teutonne une occasion supplémentaire d’exposer en vitrine son savoir-faire incontestable. Et qui mieux que Modeselektor et Apparat pouvaient illustrer cet état de fait, eux qui, chacun à leur tour, ont su éblouir le monde de leurs pattes uniques en leur genre (prenons à titre d’exemples Happy Birthday et Walls).
Amis avant de devenir collègues, ce trio ne pouvait que finir par s’associer tant leurs visions musicales nourrissent un projet finalement commun malgré une prise en main radicalement différente. Apparat nourrit un imaginaire poptronica de haute volée au moyen d’une science de la mélodie cent fois imitée, jamais égalée, redonnant à des milliers d’auditeurs la foi en un genre trop de fois bafoué. Modeselektor, quant à lui, est sans conteste l’enfant terrible de cette nouvelle génération de producteurs, cachant depuis des années un savoir-faire hors norme derrière un alliage massif de techno et d’electro. Et pourtant, chose prévisible au vu du titre « Let Your Love Grow » présent sur le dernier album du duo, c’est vers le dubstep qu’il faudra aller chercher l’inspiration de ce premier album sanglant. Une demi-surprise à voir la passion que Modeselektor voue à ce genre ultra-créatif (leur récent Boogybytes parle pour moi). Et des références, cet album en est plein à craquer, à commencer par le spectre de Burial, qui plane comme un vautour au-dessus de ce premier essai. Le beat qui roule et qui claque avec une urgence toute anglaise tapisse les plus beaux singles de cet album (« Rusty Nails », « Seamonkey »), créant profondeur de champ et lyrisme mature titre après titre. Mais cet hybride dubstep ne serait rien sans les claviers lumineux de notre ami Apparat, premier une fois de plus dans la course aux étoiles, qui échelonnent les titres à des hauteurs différentes pour finalement amerrir sur des lacs d’aluminium liquide.
Mais nouvelles technologies obligent, la frange techno du dubstep n’est pas délaissée (« No.22 » résonnant comme un parfait exemple du genre) et on pense instinctivement à ce que Martyn ou iTAL tEK ont pu produire auparavant, le côté massif exacerbé par la capacité du trio à fournir des ambiances faussement décomplexées. Le dance hall n’a pas à rougir de son côté, comptant sur la voix savamment agitée de Paul St Hilaire pour transfigurer un « Slow Match » superbe aux ambiances une fois de plus très « burialesques ». Bref, le talent de ces trois hommes, pour la première fois réunis, a une fois de plus parlé : terriblement bien calibré, précis, moderne, référencé, les qualificatifs ne manquent pas pour qualifier ce premier album d’une formation qui s’impose sans plus de formalités comme un moment marquant de cette année électronique.