Asa Breed
Matthew Dear
Matt is back ! L’annonce d’un nouvel opus du Texan basé à Detroit avait fait grand bruit dans la presse spécialisée. Comment aurait-il pu en être autrement avec les pépites que ce producteur de génie a laissées derrière lui ces quelques dernières années : en une année 2003 électroniquement maigre, Matthew nous livrait un Leave Luck to Heaven grandiose (le monument « Dog Days», c’était lui), complété par un Backstroke indispensable ; en 2005, il confirme tout le bien qu’on pouvait penser de lui à l’époque en accouchant sous son pseudo le plus dérangé, à savoir Audion, d’un Suckfish à base d’éléments de house minimale expérimentale, sexuelle et hermétique ; Audion enfoncera le clou une dernière fois avec un « Mouth to Mouth », single explosif qui s’est vu playlisté par les plus grands comme pièce essentielle à l’élaboration de toute soirée réussie. Un état des lieux plus qu’enviable à l’aube de ce Asa Breed qui porte tous les espoirs du peuple électronique en une année 2007 déjà bien fournie en albums d’exception.
Quand on est si haut dans de telles sphères de qualité, quoi de mieux que de prendre votre entourage à contre-pied en proposant un album inattendu, de croiser votre talent digital avec les mélodies les plus pop. Et l’ensemble a de quoi étonner à la première écoute : des structures apaisées et funky, laissant dépasser de temps à autre des éruptions synthétiques plus tranchantes, le tout chevauché par la voix de baryton du Texan, pour un ensemble qui semble sortir d’un brouillard éclairé, d’un matin trop dur. L’album est ainsi rempli d’airs à fredonner gaiement, d’évidences vocales magnifiques qui surprennent toujours au moment de leurs apparitions, d’accouplements organo-digitaux du plus bel effet créant un flux constant de douceur populaire pas toujours aussi évident que ces pistes ne pourraient le laisser penser. Le groove est omniprésent et quasi démoniaque, et il est presque évident que des tracks comme « Neighboorhoods » ou « Don and Sherri » domestiqueront sans doute pas mal de dancefloors enragés cet été, leur donnant par là même une couleur hautement souriante et conviviale. Sur « Pom Pom », les chœurs s’échappent et sont rattrapés instantanément par la voix feutrée du Texan dans une ambiance très cold-wave, c’est indéniablement réussi. « Will Gravity Win tonight ? » renoue avec les premières amours du prodige : piste minimaliste et répétitive sur fond de vocaux perturbés, pas de doute, malgré les changements opérés à la formule, Matthew Dear reste cet électron libre qui nous avait tant fait vibrer dans ses productions précédentes. Les guitares de fin d’album plongent ces chansons dans des ambiances plus strictement organiques, et ce que Matthew Dear ne prend pas à Brian Eno, il va le chercher directement dans des intonations proches de celles de Bowie, androgynes et ambiguës pour des résultats proches de la perfection.
Déroutant et intimiste, Asa Breed étonne par sa maturité et consacre en même temps tout le talent de cet activiste virtuose, capable d’aligner à nouveau un sans faute manifeste tout en effectuant un tournant majeur dans cette carrière toujours aussi exemplaire. Et si l’album n’est pas celui qu’on attendait forcément, il n’en reste pas moins une nouvelle livraison indispensable. A ce stade de son expérimentation, Matthew Dear est libre d’aller où bon lui semble, et les chemins musicaux les plus tortueux continueront à lui paraître larges comme des autoroutes tant que ce véritable artiste gardera cette conscience illuminée de la musique électronique. On n'en attendait pas moins.