Un petit coin de paradis avec la réédition de l'album culte d'Eden Ahbez
Bien avant que le mouvement hippie du milieu des années 1960 ne devienne un véritable phénomène sociétal en Occident, de joyeux utopistes avaient déjà embrassé le rêve libérateur d'une vie alternative tordant le cou aux idéaux de la société de consommation moderne.
Dès le début du XXième siècle avec la réforme du Naturmensch, littéralement l'homme-nature ou "Nature Boy", le soleil californien éclaire déjà les barbes hirsutes, les cheveux longs et les frusques légères de quelques adeptes du retour à la nature dans ce qu'elle a de plus primitif.
Parmi ces adeptes, un jeune homme, George Alexander Aberle a.k.a. Eden Ahbez promène son allure fruste autour des collines d'Hollywood à l'orée des années 1940. Si l'homme ressemble fort à un clochard et admet pouvoir vivre avec 3 dollars par jour, il cache un excellent pianiste et surtout un compositeur de grand talent. Son premier fait d'armes date de 1948 où son culot le pousse à proposer à la star de l'époque Nat King Cole une chanson de sa composition, "Nature Boy", qui deviendra un carton et sera reprise plus tard par Frank Sinatra ou Sarah Vaughan, ce qui lui rapportera bien plus que... 3 dollars. Ahbez sera par la suite interprété par Eartha Kitt, Sam Cooke ou Frankie Laine entre autres.
L'homme ne modifie pourtant en rien son mode de vie, réside dans la nature (la légende raconte qu'il vivait sous le "L" de la colline d'Hollywood), suit un régime et se soigne vegan et reste fidèle à ses principes jusque dans le ton de son unique album paru de son vivant et datant de 1960, Eden's Island. Écouter ce disque c'est en effet quitter le bitume de nos métropoles souillées et respirer à grands poumons le doux parfum d'une nature luxuriante, se laisser bercer par les chants des animaux sauvages et explorer une jungle d'instruments exotiques. Les rythmes primitifs des congas et autres bongos associés aux touches de marimba, de vibraphone et au souffle d'une flûte vaudou emmènent l'auditeur loin, très loin du stress et des agressions inhérentes à notre société.
Le disque d'Eden "the Nature Boy" Ahbez est à classer au rayon Exotica, musique née et très populaire aux États-Unis dès le milieu des années 1950. Certains parleraient de Jazz Space Age mais on préférera pour être plus clair évoquer une musique primitive mélange de "World des Mers du Sud" invitant à sa table des rythmes tribaux océaniens, africains ou caribéens, de la modernité de l'Easy Listening et du Jazz. Ajoutez y une poésie beatnik souvent plus déclamée que chantée, saupoudrez de chœurs envoûtants et de captations naturelles (arbres qui grincent, chants d'oiseaux...), il ne reste plus qu'à déguster ce moment de paix sans modération.
Et l'actualité dans tout ça me direz vous? Eh bien, une réédition de cet immortel chef d'oeuvre vient de sortir chez Captain High Records, jeune label spécialisé dans l'Exotica et autres curiosités ethniques et qui avait pourtant déjà ressorti le disque en 2014. Il faut croire que le bol d'air a eu son petit succès. Et ça se comprend.