Tidal est là: décodage et test
Après une journée de teasing intense qui a vu quelques uns des plus grands noms du music biz changer leur photo de profil sur les réseaux sociaux, après une vidéo dans laquelle les mêmes poids lourds teasaient quelque chose d’énorme, le service de streaming Tidal a enfin été dévoilé hier lors d'une conférence de presse. On allait voir ce qu’on allait voir. On a vu. Enfin on a surtout vu des gens très riches, qui semblent un peu déconnectés de la réalité et qui essaient de nous vendre un service pas donné du tout. Mais soyons clairs: à ce stade, on va encore attendre un peu, même si sur papier, ça ne manque pas d'arguments séduisants. Explications.
Pour rappel, Tidal est cette société suédoise qui a été rachetée par Jay-Z tout récemment. Parce que oui, quand il ne fait pas des albums, le Hov' investit son argent en rachetant des sociétés pendant que toi tu galères pour te payer une pauvre paire d’Air Max. Il est comme ça Jay-Z, c’est le "C.E.O. of hip hop". Une société qui lui appartient désormais donc, et dont la spécificité est peut-être d’être portée par un actionnariat qui n’est pas un conglomérat de types louches en costume Gucci qui jouent avec notre argent comme on joue à FIFA15 sur PS4 - c'est à dire mal, mais en étant convaincus qu'on est des dieux de la manette. Autour de la table du conseil d’administration de Tidal, on croise donc Arcade Fire, Daft Punk, Beyoncé, Kanye West, Jack White, Madonna, Alicia Keys, Usher, Calvin Harris, Chris Martin de Coldplay, Rihanna, Nicki Minaj, Calvin Harris, J. Cole et Deadmau5. Y'a aussi un certain Jason Aldean, inconnu au bataillon par chez nous, mais star immense de la country américaine qui pèse presque 10 millions de fans sur Facebook. Le genre de mec qui remplit un stade à Dallas et une MJC à Cergy-Pontoise.
Alors pourquoi ce serait bien Tidal? Parce que d'abord, comme le dit Daft Punk, les membres fondateurs sont une sorte d'"Avengers de la musique". Et on imagine qu'ici, ils font autant référence à la réunion des forces vives qu'aux bénéfices qu'ils aimeraient générer. Mais bon, on sait qu'il ne suffit pas de réunir une chiée de grands noms autour d'un projet pour accoucher d'une montagne. Pour Tidal, la valeur ajoutée réside d'abord dans la qualité impeccable du son et de l'image fournis. On est ici dans du lossless, ce qui est certainement super. Sauf qu'on a ici l'impression qu'on nous vend un produit qui nécessite du vrai bon matériel pour en profiter. Bref, Jay-Z et ses potes touchent un public de niche, audiophiles pour la plupart, et pas le petit Kevin qui "kif tro le dernié Black M", qu'il écoute à longueur de journée sur son vieux Samsung Galaxy - et pas avec les écouteurs! Bref, ici, on peut légitimement se demander quelle est la valeur ajoutée de Tidal par rapport au Pono de Neil Young, par exemple. La réponse se trouve certainement dans l'actionnariat du projet, qui est sa meilleure campagne de pub.
Et puis il y a le prix: 19,99 EUR par mois pour bénéficier de la formule hi-fi, ce n'est pas donné, et là encore, ce n'est certainement pas notre petit Kevin qui va mettre la main au portefeuille quand il a Spotify ou YouTube a sa disposition pour pas un balle. A ce prix-là, on touche le vrai fan de musique - et par "vrai fan", on parle de celui qui accorde encore une valeur marchande à la production musicale, bref, une espèce en voie d'extinction en 2015. Et l'argument de la meilleure rémunération de l'artiste, aussi louable soit-il, ne joue pas vraiment un rôle prépondérant dans les choix du consommateur, d'autant plus si c'est pour mieux rémunérer Madonna et Jay-Z (ce qui est déjà le cas des concurrents).
Et puis il y a le service à proprement parler. Ca vaut quoi? Sur base de quelques tests préliminaires, on peut déjà constater que le catalogue n'est pas aussi étendu que celui de Spotify ou Deezer. Certaines sorties européennes récentes qui se retrouvent sur les deux premiers ne sont pas disponibles sur Tidal. Les playlists, autre argument pour justifier la valeur ajoutée de Tidal, sont de qualité variable. Paradoxalement, les playlists affichées comme exclusives, et sélectionnées par Jay Z, Beyoncé ou Jack White (entre autres), sont médiocres, tandis que celles sélectionnées par Tidal ont le mérite d'ouvrir des portes sur des styles/artistes hors de la pop (les groupes influencés par Pere Ubu, les artistes irlandais pour la St. Patrick ou encore le post-metal). Au niveau technique, l'application fonctionne bien, mais rien de révolutionnaire à l'horizon, ce n'est pas sur ce critère que Tidal se distingue. Le player web, par contre, semble assez lourd et gourmand en mémoire. Si tu commences à chipoter un peu pendant que de la musique est streamée, tu te retrouves avec des micro-coupures de streaming - et qui ne sont pas liées à la bande passante. Le système de login ne semble pas unifié entre le player et le site web classique et il y a quelques choix bizarres en termes d'expérience utilisateur. Mais il marche sur Firefox et Internet Explorer. En bref, c'est pas mal, mais c'est pas dingue non plus.
Ce qui est certain, c'est que les prochains mois vont être très intéressants pour l'industrie musicale, dont la mutation continue de s'opérer, avec au centre du débat la question du streaming. Aux Etats-Unis (et probablement ailleurs), le streaming rapporte désormais plus que les ventes physiques, et les majors font une pression énorme pour que le modèle gratuit disparaisse. Entre Apple qui fourbit ses armes (on vous expliquait tout ça ici), les rumeurs permanentes de rachat de Spotify et l'arrivée de nouveaux acteurs comme Tidal, les lignes risquent fortement de bouger dans un avenir proche.
Pour ceux qui veulent se visionner l'infomercial diffusé au terme de la conférence de presse, c'est parti:
Pour ceux qui veulent revoir la fameuse conférence de presse, c'est par ici. Et bon, rien que pour la manière dont Madonna a apposé sa signature, ça vaut le détour: