Steve Lacy fait le trait d'union entre indie rock et neo soul
Il faut l’avouer, on a mis Steve Lacy dans notre viseur grâce à la playlist de Frank Ocean qui avait diffusé une série de titres autour de « Chanel » durant sa dernière émission Blonded Radio, sur Beats 1. Un fameux coup de loupe sur la carrière du jeune artiste de 18 ans qui s’était jusque-là contenté d’alimenter de temps à autre son compte SoundCloud avec quelques sons assez efficaces. Mais ces prémices brouillonnes et baveuses annonçaient déjà l’horizon des possibles que l’on retrouve sur son premier EP Steve Lacy’s Demo.
Bon, on oublie volontairement de préciser que Steve Lacy est en réalité le guitariste, l’un des producteurs et chanteurs de The Internet – être la tête pensante d’une bonne part d’Ego Death, ça prend du temps. C’est en quelque sorte pour célébrer l’aura plutôt discrète de Steve Lacy que l’on faisait de la rétention sur les éléments de son CV, parce que lui-même n’en joue pas, malgré ses 37,8K abonnés Soundcloud et une nomination aux Grammy en 2016. Au passage, il s’est aussi fendu d’une collab’ avec Kali Uchis et Vince Staples entre quelques productions pour Twenty88 (Big Sean et Jhené Aiko) et pour les albums de ses acolytes Syd et Matt Martians.
Alors, rien qui ne le placerait dans le Hall of Fame, certes, mais son cahier des charges est plutôt bien rempli pour une carrière encore à ses balbutiements, aussi géniaux ou mélodiques soient-ils. Sauf qu’on est surtout là pour juger un EP dans l’absolu, selon la rumeur – bien qu’on s’en foute – entièrement produit sur son iPhone à l’aide de GarageBand. Et le résultat s’avère très convaincant.
Au long des 6 titres, un flux parfaitement situé entre indie rock et néo soul progresse par claquements froids sur des roulements groovy bien chauds. On n’échappe pas à quelques réminiscences R&B notamment avec « Some » qui libère la ritournelle dévastatrice du « Dance With Me » de 112, sous un chant proche de celui de Pharrel Williams. Comme surgissent parfois de gros élans rock ou électro, avec colère ou dans la douceur des ballades soul et folk – sans distinction. Les fulgurances sont d’autant plus savoureuses que le projet se construit entièrement sur la variation, entre les morceaux et en eux-mêmes, toujours dans cette humeur vague bien calibrée qui les porte.
Le Californien a bien appris ses leçons à l’école de Frank Ocean, au vu des ruptures qu’il propose, autant qu’à celle de Mac Demarco pour cette brume aux couleurs métalliques. Pourtant « Looks » et « Dark Red » sonnent avec authenticité. Dernièrement, le morceau « Moron » qu’il avait écarté de l’EP est encore venu démontrer sa capacité d’adaptation et de modulation, encore lisse et rugueuse selon de nouveaux rythmes.
Il suffit enfin de superposer la qualité de cette démo à la trajectoire exceptionnelle de Steve Lacy pour conclure que ce type va tout simplement aller loin, avec une ceinture de cartouches en réserve.
Et de la fraîcheur à l’image.