Spotify vient de le confirmer : le géant suédois du streaming a bien claqué 340 millions de dollars pour racheter Gimlet et Anchor et se positionner plus agressivement sur le secteur du podcast. Si les montants peuvent surprendre, le secteur du podcast semble effectivement être le nouveau champ de bataille des plateformes de streaming.
Il faut dire que le secteur a connu une croissance assez impressionnante. Depuis la création par Apple en 2004 de la rubrique Podcasts de l’iPod, on est passé d'une niche pour nerds aux contenus très spécialisés à une véritable industrie et surtout à une belle croissance de +110% l’année dernière. Au cœur de la création de contenu plus attractif, on peut effectivement citer Gimlet Media (pour les découvrir un peu mieux on recommande la première saison de leur podcast Startup qui parle justement de la création de Gimlet), devenu une machine à créer de la série à succès et du contenu sponsorisé, par exemple pour Amazon et ABC.
Et puis surtout, Spotify a besoin de générer plus de revenus, et surtout d’atteindre la rentabilité. Pour rappel, le suédois a beaucoup évolué ces derniers temps : Spotify est devenu une entreprise cotée en bourse au cours d’une opération particulière de direct listing, permettant à ses investisseurs de départ de sortir de son capital sans émettre de nouvelles actions. Dès lors, l’entreprise doit soit devenir rentable, soit trouver de nouveaux investisseurs.
Si Spotify avait par le passé trouvé des fonds prêts à financer quelques années de perte sans sourciller, il est déjà plus compliqué à ce niveau de maturité et en tant qu'entreprise cotée de trouver des investisseurs prêts à accepter des pertes liées à la structure même du business (même si Spotify s'est bien amélioré entre 2017 et 2018, il n'est toujours pas rentable sur son activité principale). En effet, le gros problème de Spotify, c'est qu'il est toujours possible d'utiliser sa version gratuite, sur laquelle Spotify perd énormément d'argent. Or il est aujourd'hui hors de question pour la plateforme de supprimer ce tiers gratuit : dans sa course à une masse d'utilisateurs toujours plus grosse pour être en position de force face aux labels, elle cherche d'abord à attirer des utilisateurs puis à les convertir en clients, quitte à enregistrer des pertes à court terme. Reste cependant aujourd'hui à trouver un moyen d’améliorer sa situation financière et lever des fonds. Et d’après Spotify, le podcast pourrait permettre d’y arriver bien plus vite que la musique.
Le souci, c’est qu’ils ne sont clairement pas les seuls sur le créneau, chaque plateforme possédant sa section avec des stratégies un peu différentes quant au contenu exclusif et à la distribution. Spotify avec l’acquisition de Gimlet semble avoir choisi de lancer un peu de contenu exclusif mais de laisser le back catalogue en accès à la concurrence. Et surtout, le fait d’acheter un créateur de contenu fait furieusement penser à l’acquisition de Multi Channel Networks (ou MCN) il y a quelques années. A l’époque où Youtube commençait à bien se structurer, les MCN proposaient à des groupes de Youtubers de gérer leurs droits publicitaires, de négocier des partenariats et de permettre leur branding personnel. Les grands médias se sont jetés dessus avec notamment le rachat de Maker Studios par Disney pour un demi-milliard de dollars, ou encore l’acquisition de Studio Bagel par Canal+. Quelques années plus tard, le contenu produit n’est pas au niveau des attentes, les MCN n’ont pas de contrôle sur les Youtubers et Disney a dû virer plus de la moitié des effectifs de Maker Studio.
Si Gimlet a un vrai savoir-faire en matière de création de contenu sponsorisé, on peut légitimement se demander si le rachat à prix d’or (200 millions de dollars tout de même) d’un créateur de contenu permettra à Spotify de se transformer en Netflix. Mais les autres structures montant le ton en matière de création de contenu en interne ou de partenariats (on pense notamment à Deezer en France qui a choisi Mehdi Maizi), on peut facilement se dire que Spotify a dû craindre d’être laissé sur la touche.
Reste la question de la distribution de contenu et surtout de la curation. Le secteur a toujours été éparpillé entre d’innombrables plateformes, parfois dédiées aux seuls podcasts, et avec une curation quasiment inexistante. C’est simple, le seul moyen de découvrir un podcast, c’est trop souvent le bouche à oreille. En achetant Anchor, un outil de création et publication de podcasts, Spotify peut se positionner très en amont et voir ce qui fonctionne, accumuler des informations sur les concepteurs de podcasts et bien placer ses billes pour devenir une plateforme de choix en matière de distribution.
Et preuve qu'il y croit, le géant suédois prévoit encore de dépenser 150 millions de dollars cette année pour rafler encore un peu plus le marché. Sachant que le revenu total du secteur cette année était de 660 millions (avec une croissance à trois chiffres certes), cela montre à quel point Spotify croit dur comme fer au potentiel du secteur et à sa capacité en le monétiser. De notre côté, on se réjouit de ce regain d'intérêt pour ce qui est un excellent medium d'information et d'entertainment, et d'initiatives dont on espère qu'elles bénéficieront aux créateurs de contenu. Au vu de la rémunération des artistes sur Spotify, gageons qu'ils devront continuer à faire de la pub pour des matelas.