Le corps de Roky Erickson et a fortiori sa raison auront été mis à rude épreuve au cours d’une vie qui aura duré (et c’est presque un miracle) une bonne septantaine d’années. Mais nul ne peut se soustraire à la Grande Faucheuse et à l’ultime K.O., pas même Roky. Celui qui se disait extra-terrestre et qui avait pactisé jadis avec Satan semblait pourtant à l’abri de ce genre de lieu commun ; mais Roky Erickson était bien un mortel et s’est éteint, banalement, un vendredi, à Austin, là où il avait poussé son premier cri en 1947.
L’homme fut un cas clinique, traversant le cycle infernal drogue-internement-folie, autant qu’un marginal sans le sou et isolé. Mais si aujourd’hui Thurston Moore, Alex Maas, Jon Spencer ou Julian Cope se revendiquent d’Erickson, c’est bien parce que sa musique, plus encore que son singulier passage sur Terre, aura forgé une légende.
Les livres d’histoire auront retenu que c’est en tant que chanteur et guitariste des 13th Floor Elevators que Roky Erickson inventa le rock psychédélique avec le bien nommé The Psychedelic Sounds of en 1966 et le tube « You’re gonna miss me ». Jusqu’en 1969, le groupe livre une poignée d’albums indispensables de surf music sous acide avant de se dissoudre lentement en même temps que les cachetons et neurones de son leader charismatique. S’ensuit une carrière solo bordélique faite de hauts et de « bas ». De hauts, il est question avec l’EP Mine, Mine, Mind (1977) par exemple ou avec son nouveau groupe The Aliens dont Roky Erickson & the Aliens (1980) est le point d’orgue ; par « bas », on entend les éclipses totales du bonhomme comme durant les nineties où il se terre chez sa mère et sombre dans des délires hallucinés. La décennie sera tout juste sauvée par la sortie d’un tribute avec un beau casting composé entre autres de R.E.M., Primal Scream ou The Jesus & Mary Chain.
Avec le nouveau millénaire et le revival psyché, Roky Erickson connaîtra une seconde jeunesse, ô combien méritée, portée par de nombreux musiciens-fans-héritiers parmi lesquels Henry Rollins qui édite un livre à son sujet ou Mogwai qui l’invite à prendre le micro sur « Devil Rides ». Labels (Chemikal Underground, Light in the Attic) et tourneurs (il participera à de nombreux festivals à travers le monde de Coachella aux TransMusicales) prendront ensuite le relais, assureront la postérité d’une certaine idée du rock et réaliseront la prophétie qu’Erikson entonnait aux derniers instants de Bull of the Woods : « May the circle remain unbroken ». Belle épitaphe.