Je suis content : ça faisait longtemps que j'attendais une vraie occasion de parler longuement de Frensh Kyd. Tout d'abord, parce que le beatmaker parisien possède un talent et une musicalité hors pair. Ensuite et surtout parce qu'il gravite pas mal autour de cette sphère rap qui m'excite beaucoup : il n'est jamais très loin de là où DFHDGB est, et il est en plein milieu de Rufyo puisqu'il en est le producteur exclusif. Cerise sur le gâteau, il devient un acteur de plus en plus sollicité et se retrouve logiquement sur bon nombre de projets qui comptent, comme en témoigne sa présence sur les derniers efforts d'Espiiem et de Georgio. Bref, son CV commence à peser pas mal et c'est d'autant plus exceptionnel que le mec a fait ses premiers balbutiements en produisant pour Orties.
Sauf que voilà, comme tout bon producteur doué qui se respecte, il sait que sa visibilité est mise à mal par le MC qui vient poser son nom par-dessus sa prod. Et comme le reste de sa caste, c'est souvent à ce moment précis qu'il se crée une actualité parallèle, via Soundcloud ou Bandcamp. Histoire de laisser libre cours à des délires qui n'auraient pas leur place avec une signature vocale ou tout simplement d'assumer ses premiers vrais efforts solo.
On savait déjà, par le biais des longues tracklists mensuelles qu'il postait sur Facebook, que Frensh Kyd était un auditeur boulimique. On sait désormais qu'il est aussi un stakhanoviste de première bourre : alors qu'il nous promettait fin février la sortie d'un EP, c'est pas moins de quatre projets qui ont défilé tout au long du mois de mars sur sa page Bandcamp. Et si on se permet de lui consacrer une news, c'est évidemment parce qu'ils sont tous aussi excellents et variés les uns que les autres.
Petit retour sur un beau et grand mois de musique.
Syndrome Star Wars VII oblige, si le bougre doit envoyer de la musique tout au long du mois, il se doit d'être d'abord rassurant. Ainsi, si cette première fournée de titres fonctionne aussi bien, c'est avant tout car elle navigue dans le sillage du premier effort de Rufyo et notamment celui de son impressionnante conclusion. On y croise donc le fantôme de Noah "40" Shebib, mélangé à un soupçon de garage-emo que ne renierait pas Jamie XX. Mais en marge de ses références plus qu'évidentes, son caractère stellaire irrésistible nous renvoie surtout à ce qu'avait distillé trois ans plus tôt le regretté Kid Atlaas sur son très beau Fragments. Et ça, c'est sans aucun doute le plus beau compliment qu'on puisse faire.
Autre effort, autre univers : c'est désormais dans les sphères du Kanye West pré-808s & Heartbreak que le Parisien nous emmène. Ce volume fait en effet la part belle aux samples soul 80's boostés à la vitamine C si chers au producteur de Chi-Town - un hommage à peine déguisé puisqu'on retrouve le beat de "Real Friends" au beau milieu de tout ça. Accompagné d'un MC inconnu au bataillon pour habiller vocalement le projet, ce volume un peu plus inégal n'en demeure pas moins riche en moments de bravoure. Il permet en tout cas de cristalliser ce que Shkyd sait faire de mieux : une musique qui se réclame de la culture du breakbeat rap, mais qui ne se refuse jamais de flirter avec une sensibilité pop sucrée. Un peu ce que le Louis Vuitton Don continue de faire aujourd'hui, finalement.
Exit les hommages aux rappeurs fragiles : avec ces deux derniers volumes, place aux youyous, à l'Orient et aux sorties de Sublime Frequencies. Dans cette espèce de déclaration d'amour à la belle Yasmine Hamdan, le bougre a en effet mis tout son cœur dans ses machines pour ces deux derniers volumes où il se donne les moyens de ses ambitions : on y trouve du piano, pas mal d'instruments insolites, des chants arabes passés à l'autotune et même quelques rythmiques footwork. Tout ça, compressé dans un enchaînement de pistes qui sent le sable chaud. La preuve ? "A Dom", probablement l'un des plus beaux titres jamais écrits par le producteur. Et un argument de poids pour vous convaincre d'écouter ces forts beaux EPs, car ces trente minutes de son risquent de faire date dans sa déjà belle discographie.
Difficile pour l'heure de savoir si le bonhomme a encore prévu de nous sortir d'autres volumes - même si les quelques échanges qu'on a eu avec lui nous permettent de penser qu'il n'a pas envie de s'arrêter sur sa formidable lancée. Et ce podcast où il retrace les influences de ses deux dernières sorties n'est qu'une énième preuve du caractère exceptionnel du producteur. Car finalement, des bons musiciens, il y en a beaucoup. Mais des amoureux de la musique au sens le plus large du terme, non, il n'y en a pas tant que ça.