Il n’est jamais aisé de rendre hommage à une artiste que l’on appréciait au-delà du raisonnable. Car bien au-delà de la tristesse que nous ressentons suite à la disparition tragique d’une personne que nous ne connaissions pas vraiment, il y a également cette part de frustration qui nous envahit lorsque nous réalisons qu'elle avait à peine dépassé la trentaine. C’était le cas de Sophie Xeon, dite SOPHIE, partie ce 30 janvier, victime d’une chute alors qu’elle voulait observer la Lune de plus près. Nous sommes deux semaines plus tard, tout a probablement déjà été dit à son sujet, et pourtant, le besoin d'en parler est encore présent. Quitte à répéter ce qui a été dit ailleurs. Qu'importe, il fallait que ça sorte.
Connue pour son travail de production pour des stars aux profils très variés comme Madonna, Nicki Minaj, Charli XCX, Vince Staples, Arca ou Yelle, SOPHIE avait également ses propres projets. Et bien qu’elle ait toujours été proche du label PC Music de A.G. Cook vu ses accointances avec le mouvement hyperpop, elle ne sortira aucun morceau sur ce label. Sa musique a la particularité de s’apprécier lorsqu'on est avide de sensations fortes et de chutes vertigineuses. Imprévisible, elle détournait les codes de la pop pour la rendre plus intense. Quitte à s’en moquer un peu, comme sur « Faceshopping » qui dénonçait le consumérisme et le capitalisme, pour ensuite accepter dans un parfait contre-pied, que McDonald’s utilise son morceau "Lemonade" dans une de ses publicités.
Il serait cependant malheureux de considérer la musique de SOPHIE comme uniquement froide et purement conceptuelle. Derrière ses rodomontades se cachait une sensibilité à fleur de peau. Une sensibilité qui faisait beaucoup de bruit pour un corps qui semblait trop étroit pour la contenir. À l’écoute de son album OIL OF EVERY PEARL'S UN-INSIDES, il n’était pas rare de finir rincé une fois le dernier morceau joué. Tant d’émotions fortes concentrées en si peu de temps, tant d’amour, de violence, d’angoisses, de peurs, de délivrance, de libération et d’acceptation de soi à la fois. Et puis ce sentiment de béatitude incomparable, l’impression d’avoir fait un bout de chemin avec une artiste qui nous aura appris tant de choses, de lui avoir tenu la main. Avec, en guise de souvenirs de cette rencontre, les quelques larmes et le grand sourire qui illumine notre visage satisfait.
Insaisissable et énigmatique, SOPHIE scandait son besoin de liberté : elle considérait son identité trans comme le moyen de réconcilier son corps avec son esprit sans tenir compte des diktats extérieurs, et elle refusait qu’on lui prête des pronoms, qu’ils soient genrés ou non-binaires. Une personne unique, brillante et iconoclaste qui fédérait autour d’elle un public aussi diversifié que les genres musicaux qu’elle se plaisait à mélanger. Tandis qu’elle mélangeait bubblegum pop, électro, trance, dubstep, voix ultra-pitchées, synthés futuristes, basses tremblantes et bruits d’usine, son public se constituait était de club kids, de personnes queers, de drag queens et d’à peu près tout un monde qui aspirait à tendre vers ce même sentiment d'immense liberté.
Aujourd’hui encore, ce public se fédère autour d’un nouveau projet la concernant : renommer une exoplanète actuellement appelée TOI 1338 b, mystérieuse et qui ressemble beaucoup à la planète présentée dans le décor de la pochette de son album OIL OF EVERY PEARL'S UN-INSIDES. Une merveilleuse manière de rendre hommage à une artiste qui nous a bien souvent semblé extraterrestre de par l'étendue de son talent.