Nekfeu chez Ruquier, ou pourquoi il ne faut plus inviter de rappeurs à la télévision
"Tu connais tes limites quand tes genoux et tes mains tremblent," disait Metek en ouverture de son excellent Riski.
Samedi soir, ce n'était rien d'autre que la voix de Nekfeu qui tremblait sur le plateau de Laurent Ruquier : le chef de file de 1995 et du S-Crew était en effet l'invité musical de On n'est pas couché pour venir défendre son premier effort solo, Feu, paru en juin dernier. Un disque qui continue de remporter un joli succès commercial plusieurs mois après sa sortie et qui ne pouvait donc pas éviter le passage par la case télévision.
Mal assuré et plutôt sur la réserve, c'est sous les éloges que le Parisien a été reçu. Et ceux notamment d'une Léa Salamé bien trop fière de pouvoir placer qu'elle avait assisté à des concerts du Wu-Tang Clan et de NTM dans sa vie. Une anecdote qui n'a malheureusement pas suffi à cacher à quel point elle était complètement déconnectée du rap en 2015, et donc proprement incapable de tisser une entrevue digne d'intérêt avec le rappeur.
C'était déjà un moment suffisamment gênant, on s'en serait voulu d'entendre en plus le désagréable Yann Moix en rajouter une couche. C'est pourtant à lui seul que revient le mérite d'avoir relevé un peu le niveau, parlant de Feu comme d'un disque avec "de la violence qui ne fait pas mal". Des mots finalement pas si éloignés de ceux de notre papier.
Le PAF et le rap français, de toute façon ça n'a jamais été le grand amour. Il n'y a qu'à voir comment les rappeurs évitent soigneusement de se bousculer au portillon : pour reprendre l'exemple de l'antenne de Ruquier, seuls Disiz, Youssoupha ou Soprano ont fait le déplacement. Autant de rappeurs déjà bien installés dans le rap et dans leur trentaine, plus tout à fait pertinents, mais qui confortent le genre dans une réalité rassurante, bien que peu représentative de la diversité qu'il peut offrir aujourd'hui.
Et si l'on félicite tout de même le blanc-bec d'avoir voulu mettre en lumière des influences dont on ne comprend finalement pas tout à fait la résonance (Mafia K'1 Fry et Karlito, vraiment Ken?), il faut bien admettre que côté journalistes, les jugements de valeur demeurent légion et ne permettent absolument pas aux auditeurs occasionnels de se faire un avis éclairé sur ce qu'est le rap français. Et d'entendre enfin que NTM et Assassin sont considérés comme des artistes fréquentables presque vingt ans après leur âge d'or, c'est un fléau qu'on n'aimerait pas voir s'appliquer à des mecs bien dans leur époque et tout aussi incontournables, à l'instar de Sameer Ahmad ou encore PNL.
À l'arrivée, on se dit qu'il n'y a guère aujourd'hui qu'un Mouloud Achour pour parler correctement de rap à la télé, avec sa connaissance de la réalité commerciale et de sa facette entertainment qui échappe aux journalistes du service public. Mais là encore, malgré les bons scores de Clique, son audience semble avoir proprement décuplé depuis la reconversion en plateforme multimédia. De là a penser que le rap est incompatible avec la télévision et qu'il se réserve à des auditeurs davantage habitués à avoir un clavier sous la main qu'une télécommande, il n'y a qu'un pas qu'on ne franchira pas. Mais si ça se vérifie, on espère vivement que l'affaire Nekfeu saura faire jurisprudence. Et qu'elle évitera à tous ces rappeurs à succès de s'imposer ce genre d'incontournable passage télé qui, au final, fatigue tout le monde.
En attendant qu'une petite poignée de rédacteurs de l'Abcdr du Son se décident à faire une percée héroïque au petit écran, on ne saurait que trop recommander à cette clique de journalistes musicaux du dimanche cet adage très librement inspiré par la prose de ce bon vieux Elie Yaffa : "Si tu connais pas, t'en parles pas et puis c'est tout". En plus, ça nous évitera de perdre du temps à écrire des gros pâtés alors qu'on aurait pu faire des choses beaucoup plus risquées, comme ranger nos chaussettes par exemple.