En 1960, après avoir fait ses armes auprès de Miles Davis ou Thelonious Monk, le saxophoniste John Coltrane est enfin prêt à diriger sa propre formation. Il a pour lui la créativité (les compositions) et l’étoffe (la technique instrumentale) d’un leader mais il doit trouver l’essentiel, à savoir les musiciens à même de donner corps à son inspiration et à le mener vers son utopie, sa quête du « son universel ». Après quelques mois d’atermoiements et d’auditions, son choix s’arrête sur trois hommes : Elvin Jones à la batterie, Jimmy Garrison à la contrebasse et McCoy Tyner au piano. Ensemble, ils forment jusqu’en 1965 un quartet légendaire qui marquera à jamais l’histoire de leur art. On connaît la suite : John Coltrane meurt prématurément en 1967, à 40 ans, laissant la planète jazz orpheline d’un de ces plus grands génies ; Jimmy Garrison le rejoint en 1976, à peine plus âgé ; Elvin Jones continuera à cogner ses fûts jusqu’en 2004. Il ne restait donc qu’un témoin vivant de ce temps béni, McCoy Tyner, qui, en nous quittant à l’âge de 81 ans, s’en va ressusciter LE quartet au paradis.
C’est à Philadelphie que Tyner rencontre Coltrane à la fin des années 50 au gré des jam-sessions qui pullulent dans cette ville au fort ADN jazz. Au moment où il l’embauche, Tyner n’est donc pas un inconnu pour Coltrane. Le nom du pianiste va commencer à se répandre au-delà des frontières de la Pennsylvanie en 1960 avec sa participation au célèbre opus coltranien My Favorite Things. Le motif pianistique court, répété et marquant qui harmonise le classique éponyme ainsi que son solo plein de lyrisme sont un parfait condensé de ce que Tyner apporte et développe tout au long de sa collaboration avec Coltrane. Suivront Olé, Africa/Brass, Crescent, A Love Supreme, Ascension... pour lesquels le terme de chef-d’œuvre n’est absolument pas galvaudé et qui à chaque fois bénéficient des dons d’orfèvres de McCoy. Une rupture survient pourtant fin 1965 quand Tyner décide de quitter son mentor car, de son propre aveu, le pianiste n’arrive plus à trouver sa place dans le déluge free qui s’abat alors sur la production de Coltrane. En quittant le quartet, Tyner choisit de voler de ses propres ailes et signe sur Blue Note un album au titre émancipateur, The Real McCoy (1967). Après une poignée de sorties, la collaboration avec le mythique label à la note bleue prend fin avec Extensions en 1972. Ce dernier disque est une merveille et montre que même émancipé, Tyner ne s’égare jamais trop loin du giron originel. Sa musique, à l’image de celle de Coltrane est spirituelle, habitée, toujours en quête d’authenticité (l’Afrique fantasmée) et de modernité. Au line-up, on découvre Alice Coltrane (la veuve), Elvin Jones (le métronome) et Wayne Shorter (le « légataire ») ; l’ombre de Coltrane plane donc intensément mais la patte Tyner se dessine belle et bien.
Tyner poursuit ses aventures auprès d’une nouvelle maison de disques, Milestone. De beaux albums verront le jour comme Sahara, Enlightenment, Fly with the Wind... où son jazz se fait plus électrique voire funky. Ce sont là peut-être ses œuvres les plus affranchies du carcan coltranien et donc les plus personnelles. La suite comme pour nombre de musiciens de sa génération sera plus laborieuse et peu de choses sont à retenir de sa production des années 80 et 90 qui flirte souvent avec les canons de l’entertainment. La tentative de se calquer sur l’air du temps est louable, les notes sont toujours justes mais la forme n’y est plus. L’âge avançant et avec lui une certaine forme de sagesse, Tyner revient dans les années 2000 à une matière plus conforme à son rang. Ses derniers disques ravivent le spectre de sa lignée et la nostalgie de mise. Toujours difficile à dissocier de celui de Coltrane, son nom a toutefois acquis une belle aura qui permettra à McCoy Tyner de tourner à travers le monde jusqu’à tout récemment afin de gratifier nos oreilles de jazz-addicts de ses trilles miraculeuses.