Daft
Pauline Guéna et Anne-Sophie Jahn
On le sait, et surtout, ils le savent : la meilleure histoire des Daft Punk, c’est celle qu’ils se décideront (peut-être) à nous raconter un jour. En attendant, Guy-Man de Homem-Christo et Thomas Bangalter profitent de leur retraite anticipée en regardant les zéros s’amasser sur leur compte en banque. Depuis l’annonce de la séparation, rares sont les articles qui ont réussi à nous parler de la formidable épopée du duo dans des mots qui nous touchaient ou nous intéressaient. En réalité, hormis la très bonne enquête sur la fin de leur histoire parue dans Society, on est bien en mal de citer quoi que ce soit de significatif. Sauf que depuis quelques semaines, on a enfin droit à ce bel os à ronger qui manquait à nos vies avec le Daft de Pauline Guéna et Anne-Sophie Jahn, ouvrage paru chez Grasset et qui se situe à mi-chemin entre le roman et l’enquête.
Très correctement documenté, bourré d’anecdotes croustillantes et de personnages secondaires qui le sont tout autant, en ayant pour matière première de longs entretiens avec des gens qui ont été proches du groupe, Daft est moins un récit de son inexorable ascension vers les sommets planétaires qu’une lecture très pertinente (et pleine d’une affection qui ne plombe pas la crédibilité du projet) d’une période qui a fait date dans l’histoire de la musique de ces 50 dernières années. Pensé pour le fan comme pour le profane, Daft remplit pleinement sa mission informative, et remet de l’ordre dans le grand récit de la French Touch. Plutôt que de s’aventurer à raconter toute la trajectoire du duo dans une chronologie scolaire et rébarbative, Daft se concentre sur une période assez courte, qui va de la naissance du groupe à la parution de Discovery. Autrement dit, ce que l’on voit dérouler sous nos yeux ébahis, c’est toute la période « humaine » de Daft Punk, racontée à l’aune des « premières fois » – de la première critique négative dans le Melody maker qui va tout changer, jusqu’à la première diffusion de « One More Time » dans les enceintes du Rex.
Mais la vraie intelligence du livre, c’est de faire du duo un acteur presque secondaire du récit. Il préfère faire briller tous ces personnages qui sont certes des faire-valoir, mais qui auront été essentiels à la fabrication de la légende – car on comprend vite que rien ou presque dans cette épopée n’a été laissé au hasard. A la lecture de ces 200 pages qui s’avalent d’une traite, on réalise combien le succès d’un duo qu’on aura toujours vu comme isolé du reste du monde tient aux actions ou aux mots de ces gens qui n’ont jamais eu voix au chapitre. En l’absence d’un récit de première main, c’est eux qui nous permettent de comprendre ce qui a bien pu se passer dans la tête des deux Français et comment certains choix de carrière ont pu être posés – toujours pour le meilleur, jamais pour le pire.
(Jeff)
GUENA (Pauline) et JAHN (Anne-Sophie), Daft.
Paris, Grasset, 2022, 216 pages.