LUTĒCE ou la tentation shoegaze dans le rap
Parfois, un nouveau clip, un titre inédit ou une date de concert nous donne l'occasion de faire le point sur un groupe dont on n'a pas eu le temps de vous parler plus tôt. Aujourd'hui, c'est de la formation rap LUTĒCE qu'il s'agit. Ils viennent de dévoiler un nouveau visuel, "Atreyu", qui, s'il ne nous a pas autant emballés que les meilleurs moments de leur EP Lapse ("Sans Elan" <3) nous permet néanmoins de s'accorder une petite séance de rattrapage.
LUTĒCE donc, qui, comme son nom ne l'indique pas, est un duo d'origine lyonnaise. Il est composé des emcees Marty et Ian Vandooren, ce dernier étant également beatmaker. Balançant leurs morceaux sur Soundcloud depuis une paire d'années, ils ont fini par dévoiler un premier projet en bonne et due forme en octobre dernier : l'EP Lapse. À la production de ce format court, on retrouvait un autre illustre gone en la personne de King Doudou, l'homme derrière les tubes "Oh Lala" et "Dans Ta Rue" de PNL.
Une connexion qui semblait assez logique tant on décèle certains éléments caractéristiques du groupe de l'Essonne dans la musique des deux lyonnais : la lassitude, la posture contemplative, le travail sur les ad-libs et les harmonies vocales...
Mais LUTĒCE va encore plus loin dans la neurasthénie, d'où le titre de ce papier : l'esthétique propulsée par le duo nous renvoie carrément au shoegaze. La musique amorphe, introspective et lasse d'un Ride (l'un des morceaux de LUTECE s'intitulé d'ailleurs "Nulle Part", renvoyant au classique Nowhere des Britanniques) ou d'un My Bloody Valentine, les voix qui disparaissent derrière les murs de guitares distordues... Étrangement, il y a un peu de tout ça dans le rap de LUTĒCE.
Et là, on doit dire un grand merci à la trap. En libérant les emcees des codes rigides du rap new-yorkais, en autorisant davantage d'espaces, de chant, de laisser-aller, la trap a accouché d'une génération de rappeurs farfelus, parfois très éloignés des archétypes hip-hop. On pense à Father et sa clique d'allumés du label Awful Records, ou au duo Nusky et Vaati de côté-ci de l'Atlantique. Aujourd'hui, des milliers de jeunes gars de la middle class à travers le monde choisissent de cracher leur spleen sur des kits de 808 plutôt que des riffs de guitare métalliques, comme cela aurait pu être le cas 20 ou 30 ans auparavant. LUTĒCE représente, quelque part, l'étape finale de ce processus.
Il n'y a plus grand chose de typiquement rap dans leur posture ou dans leur propos. On ne retrouve aucune trace de conscience ou de révolte, façon années 90, ni même de provocations crasses inhérentes au genre gangsta. On ne décèle même pas le spleen de rockstars tristes d'un Drake ou d'un Kanye. Ici, tout n'est que contemplation des remous de l'âme. Dans leurs textes, aucun élément concret, tangible, peu d'évocations de lieux ou d'époques précises. Tout se passe à l'intérieur. "J'ressens plus les battements", répètent-ils à l'envi dans le titre "BPM". Une posture bien résumée par le titre "Sans Elan" : leur musique ressemble effectivement à un saut dans le vide sans prise d'élan, sans énergie, une interminable chute filmée au ralenti.
Saluons également le groupe pour ses références à la pop culture assez inhabituelles : quand Marty cite Star Wars, c'est d'un élément précis de la prélogie qu'il parle, plutôt que des sempiternelles Yoda et autres sabres laser : "J'renverse leur monde comme Coruscant". Quand il place Harry Potter dans le morceau "Atreyu", c'est avec la minutie d'un gamin qui a grandi avec livres de J.K. Rowling : "Mes rimes sortent du grimoire comme Jedusor".
En bref, à l'image d'un Hamza, d'un Jorrdee, d'un Prince Waly, LUTĒCE abâtardit encore un peu le rap en langue française pour notre plus grand bonheur. Et on continuera de suivre attentivement leur interminable saut dans le vide, qui pourrait bien finir par les amener quelque part. À commencer par Paris : ils donneront leur premier show dans la capitale le 10 mars prochain à la Maroquinerie, à l'occasion de la 8ème soirée Horizons. Préviens les autres.