Un confinement, ça laisse du temps. Du temps pour ranger des trucs, comme les dossiers sur son bureau, son placard à épices ou la pile de draps, mais aussi du temps pour un autre type de tri. Pourquoi ne pas se poser sur son canapé, le regard plongé dans le vide, et laisser sa mémoire choisir un disque pour en parler moins à travers le prisme de la raison que celui du cœur ? Nous, c'est ce qu'on a décidé de faire.
Nous sommes le 10 mai 2015 et Hamza Al-Farissi écume les rues de Laeken, commune du nord de Bruxelles qui l’a vu grandir. Dans moins de 24 heures, le Belge livrera une mixtape gratuite qui constituera l’une de ses premières cartes de visite. Après une carrière éphémère avec son Kilogrammes Gang et une mixtape solo en 2013, le jeune artiste s’apprête à sortir le premier véritable projet discographique du Hamza tel qu’on le connaît aujourd’hui.
Il est bientôt 22 heures et la silhouette du rappeur s’enfonce dans la pénombre pour regagner le studio de Dakose, son manager de l’époque. Depuis septembre, c’est dans sa cabine que Hamza passe le plus clair de son temps afin de coucher sur bande les bouts de morceaux perdus dans les notes de son téléphone ; un aboutissement après deux ans de recherche d’identité musicale sans véritable studio pour expérimenter. Il est bientôt minuit et Hamza et son équipe réécoutent une dernière fois le projet avant de le téléverser sur les serveurs de HauteCulture. Si la livraison du produit apparaît comme l’étape finale après des années de doute, son titre souligne surtout le tunnel de travail que Hamza vient de traverser. Après plusieurs années à charbonner H-24, il fallait bien 24 pistes pour représenter la journée type du bourreau de travail qu’est le lutin de Laeken.
D’aucuns auraient choisi de rentrer dans la grande foire du rap jeu sur la pointe des pieds en proposant un EP dense et concis. Le raisonnement de Hamza est tout autre. Le rappeur préfère piocher parmi la centaine de maquettes amassées durant ses mois de résidence afin de proposer un nuancier plus complet, étendu sur 24 titres. Pourtant, c’est l’engouement autour de la troisième piste qui permettra à Hamza d’arriver jusqu’aux oreilles de ses premiers auditeurs puis quelques années plus tard, d’hériter du titre de SauceGod. Il serait toutefois bien réducteur de résumer H-24 au seul titre « La Sauce » tant le projet regorge de pistes depuis rentrées dans l’imaginaire collectif (« Minium », « Respect »).
En vérité, l’ensemble du projet semble surtout à la gloire de l’une des armes fatales du jeune belge : une maîtrise innée du sens du refrain. La force de ce projet réside alors dans la capacité de Hamza à transformer tous ses titres en bangers potentiels. Dès les premières notes de « Bibi Boy Swag », le ton est donné : sa musique s’apprécie d’abord avec le corps puis s’écoute avec les tripes. À ce moment-là, si la recette du H n’est pas encore arrivée totalement à maturation, les ingrédients qui la composent laissent déjà présager d’un son résolument dansant, toujours pensé pour divertir. Une vision de la musique qui participera, entre autres, à faire rentrer le rap en club et tes potes en survêt’.
En approfondissant l’écoute quelques années plus tard, le sens de la mélodie du jeune rappeur est évident, tout comme sa fâcheuse tendance à s’attarder moins longuement sur des couplets dont les textes ne sont pas toujours au point. C’est d’ailleurs l’une des premières critiques qui seront adressées à Hamza par les gardiens du temple du rap francophone. Pour rappel, nous sommes au début des années 2015, une partie l’auditoire rap fait des pompes et des tractions au son de Gradur. L’autre partie voit revenir de fort belle manière le vétéran Lino et de son classique et ultime projet Requiem. Un album d’autant plus important qu’il permettra d’alimenter le moulin de ton ami fan de rap qui te vantera les mérites des schémas de rimes du membre d’Ärsenik et de la dimension militante de ses textes. Mais c’est également ce même copain, dont les 16 mesures engagées résonneront plus tard en manif, qui te soulignera souvent la pauvreté des textes du jeune Hamza.
Pourtant, n’en déplaise à ce pote, il y a à l’époque dans la musique de Hamza une vraie innovation, un phrasé parfaitement neuf qui introduit de manière quasi systématique un nombre ahurissant d’anglicismes. Il suffit d’ailleurs de jeter un rapide coup d’oeil aux titres du projet pour s’en rendre compte (« By the way », « Respect », « Police Ass Nigga »). Ce parti-pris s’explique encore une fois par la volonté du rappeur de fournir la mélodie la plus homogène possible, quitte à s’affranchir des sonorités trop agressives dont la langue française regorge. Une direction artistique qui nous indique sans surprise que les influences du Belge se situent outre-Atlantique et se focalisent davantage sur Justin Timberlake, 50 Cent ou Young Thug que sur Sinik, James Deano ou Starflam. Cette culture rap US se cristallise alors par sa volonté de gérer son image notamment via une science aiguisée de la sapologie et une gestuelle bien rodée. Une emprise totale sur l'aspect visuel qui poussera d’ailleurs le rappeur à supprimer les clips un peu vieillots d’H-24 pour ne laisser que les audios.
Mais comment parler de la musique d’Hamza sans évoquer l’une des thématiques phares de la carrière du rappeur et déjà bien présente sur H-24 : les femmes. Si son écriture imagée laisse apparaître une misogynie latente, elle cache surtout une personnalité romantique et sensible. Un amour pour la gent féminine qui poussera d’ailleurs le H à sortir deux ans plus tard un EP orienté dancehall sobrement intitulé New Casanova. Des sonorités plus colorées et des thématiques moins sombres qui permettront de féminiser doucement des concerts jusqu’alors bien trop testostéronés.
Plus qu’un lancement de carrière, H-24 illustre les prémices d’une vague belge qui secouera le rap français au point de le renommer rap francophone à l’aune des leçons données par Damso et consorts. La mixtape sort d’ailleurs durant une année 2015 particulièrement faste pour le "rap en français" puisqu’elle verra les débuts d’un jeune homme originaire d’Aubagne du nom de Julien Schwarzer, aka SCH, dévoiler à son tour sa toute première mixtape. Une coïncidence d’autant plus rigolote quand on connaît la trajectoire des deux jeunes rookies qui se donneront la réplique le temps d'un tube quelques années plus tard, mais cette fois en ayant tous les deux acquis le statut de poids lourds de leur discipline.
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