Un confinement, ça laisse du temps. Du temps pour ranger des trucs, comme les dossiers sur son bureau, son placard à épices ou la pile de draps, mais aussi du temps pour un autre type de tri. Pourquoi ne pas se poser sur son canapé, le regard plongé dans le vide, et laisser sa mémoire choisir un disque pour en parler moins à travers le prisme de la raison que celui du cœur ? Nous, c'est ce qu'on a décidé de faire.
On parle souvent d'écoute à la maison, comme s'il n'y en avait qu'une, mais de manières différentes d'écouter de la musique chez moi, j'en vois plein. L'écoute de soirée, l'écoute pour bosser, l'écoute pour lire, l'écoute pour écrire nos chroniques, etc. Et puis il y a cette écoute intime et particulière, qui émerge de temps à autre quand on trouve un petit moment de calme ou de réflexion. Et comme parmi nous, beaucoup vont passer du temps à la maison, ça risque de devenir un truc récurrent.
Après avoir eu envie de partager ces moments avec vous, j'ai tout de suite pensé à un disque que je réécoute finalement assez peu, mais que je connais vraiment par cœur. Quand j'ai découvert ça, j'avais une quinzaine d'années et j'avais demandé à mon père de me lister des groupes que lui avait un peu suivi et que je ne connaîtrais pas. Dans cette liste, certains trucs sont carrément inaudibles pour moi, même des classiques comme Van Der Graaf Generator ou Colosseum.
Mais quand j'ai lancé Trilogy de Emerson, Lake & Palmer, ça a été un choc. Je découvrirai un peu plus tard que ELP, comme on les appelait à l'époque, c'est pas vraiment un groupe qui a eu la cote dans les décennies suivantes. Vieux jeu et pédant, le groupe qui tapait des reprises de Bach en plantant un couteau dans le synthé, ça sonnait assez mal pour les oreilles d'un rock qui se faisait une deuxième naissance dans la brutalité.
Adolescent, je me sentais en besoin de démonstration - je n'écoutais pas encore Jul en toute détente - et je crois que ce disque m'a fait particulièrement du bien parce qu'il me permettait de me la péter tout en prenant un pied pas possible sur le côté pop complètement passé sous silence d'Emerson, Lake & Palmer. Dans Trilogy, il y a un véritable amour de la ballade. D'un truc assez pur comme "From The Beginning" avec sa voix étonnement sous-mixée au gros craquage de "The Sheriff", c'est du kitsch qui vient taper là où ça fait du bien. Et alors que je refusais de taper dans "ce que tout le monde écoute", je pouvais en parler de loin sans me faire chier et me retrouver seul avec les synthés de Keith Emerson.
Mais Trilogy, c'est aussi un sacré morceau de bravoure. Musique baroque, jazz, rock progressif, voire un truc plus violent qu'à mon avis personne n'a vraiment su nommer à l'époque, le disque est un bon petit voyage en terre inconnue, notamment dans le morceau-titre. Parce que "Trilogy", si ce n'est plus un titre que j'écoute si souvent que ça, ça reste un des morceaux que j'écoute immédiatement quand je veux renouer avec ce groupe. Un bordel complètement progressif, dans son côté fusion bien sûr, mais surtout dans sa capacité narrative. Comme dans tous leurs disques, c'est là qu'ELP excelle par-dessus tout. Un titre qui fait la taille du Danube et qui raconte une histoire extrêmement mouvementée.
Et aujourd'hui, alors que je suis un peu coincé chez moi, je suis content de voir à quel point j'apprécie toujours autant leur capacité à raconter des histoires, et à quel point j'y suis attaché. Je ne suis pas sûr que j'apprécierais le type que j'étais à 15 ans, par contre je suis encore ému par ce petit truc qui lui donnait envie d'aimer un groupe qui se mettait aussi peu de limites.