Les leçons de 2017 (4/4)
En attendant nos tops albums thématiques qu'on publiera comme chaque fois en début d'année, on a décidé de se refaire l'année écoulée au travers de leçons qui nous permettent de repenser aux 12 mois écoulés dans un bel esprit de transversalité.
Lorde, le plus beau monstre jamais enfanté par le mainstream
Cette année, on aura encore vu une belle chiée de concerts. Et souvent le même triste constat fut dressé : comme il faut satisfaire un public de plus en plus exigeant dans un contexte économique qui force les artistes à passer le plus clair de leur temps dans un tourbus ou un van tout pourri, cela donne des prestations en mode pilote automatique et des artistes qui masquent leur ennui ou leur fatigue dans une débauche d'effets de manche. Et puis on a vu Lorde. Certes on partait dans de bonnes dispositions vu que dans la catégorie « pop mainstream », son Melodrama est de très (mais alors très) loin le plus grand disque de 2017. Mais on ne pensait pas que la Néo-Zélandaise allait être capable de nous ébranler de la sorte avec un concert d’une étonnante sobriété pour ce genre de salle – à Anvers c’était la Lotto Arena, à Paris le Zénith. En deux petites heures d’un show alternant entre émouvante sincérité et débauche d’énergie cathartique, Lorde nous a fait comprendre que vouloir revivre une vision fantasmée de notre jeunesse devant un live des Pixies ou de The Streets, cela n’avait plus aucun sens en 2017. C’était même tout simplement ridicule quand on sait que cette fameuse jeunesse, cela ne sert à rien de la faire exister au travers de groupes qui la voient probablement au travers de zéros sur un chèque alors qu’on peut comprendre au contact de ceux qui la chantent avec un incroyable talent – et pas de ceux qu’on essaie de nous vendre dans des télé-crochets bidons. (Jeff)
Alkpote emmerde la postérité
«Au mieux on vise la lune et au pire on vise ton uc », cette punchline balancée sur « Hurlez » en 2012 résume à merveille l’esprit qui anime les desseins d’Alkpote. Sauf qu’en 2017, le Grand Aigle a aussi bien visé la lune que les anus avec la sortie des « Marches de l’Empereur ». Tant pis si les tueries côtoient quelques titres plus faiblards, la vraie réussite a surtout été de mettre au grand jour tout l’héritage du MC d’Evry-Courcouronnes. Si Alkpote était un gosse, il serait ce louvoyeur capable de fréquenter le groupe des intellos sans se mettre à dos les cailleras du fond de la classe. Un projet qui montre au grand jour que « A.L.K.P.O.T.E c'est moi l'patron / Tous ces nouveaux rappeurs savent bien qu'j'suis leur daron ». Une image de daron pleinement assumée qui donne encore plus de force à sa discographie longue comme un chibre qui aura doucement mais sûrement essaimée à travers tout le rap. En 2018, on croisera encore notre Serge Gainzbeur puisque « Plus Haut » annonce le troisième volet de la série des « Marches de l’Empereur ». Un titre de 6 minutes rempli de punchlines, et de « putes » qui démontre une nouvelle fois à quel point Vald est le plus grand rejeton d’Alkputain de pote. Un rejeton qui lui connaît les strass et les paillettes, là où Alkpote restera cet artisan de l’ombre. La vie est décidement une triplepute. (Bastien)
Double X est la plus efficace machine à tube du rap français
Attention, on retient son souffle: Kekra, Lacrim, Niska, Siboy, Damso, Kaaris, Fally Ipupa, Kalash Criminel, SCH, Sadek, Lartiste... Absolument tous ont fait appel à Double X, la paire de producteurs de Livry Gargan, très souvent pour plusieurs prods. Si bien que, quand on refait l'historique en cette fin de mois de décembre, le volume de productions signé d'un "Double X on the track bitch" est carrément effrayant, alors même que la came reste d'une teneur et d'une densité exceptionnelles. Sans doute aussi parce que, plus que chez quiconque, chacune de leurs productions a su trouver les bons interlocuteurs: les notes de piano de la "Macarena" de Damso ont résonné dans le coeur des mâles alpha et de leurs compagnes, les arpeggios futuristes du "Uzi" de Kekra ont presque vocation à remplacer la Marseillaise dans le coeur de tous les Alto-Séquanais, et Kaaris est devenu le Elvis Presley des bars à chicha grâce au carton "Tchoin". Autant de bonnes (et aussi de moins bonnes) raisons qui font de Double X la machine la mieux huilée depuis que Dany Synthé a choisi de poser son cul entre Coeur de Pirate et Benjamin Biolay au jury de la Nouvelle Star. (Aurélien)
Et si vous arrêtiez de nous faire chier avec les musiciens qui meurent?
C’est la mode depuis deux ans et la disparition "soudaine" du Thin White Duke, et ça commence sérieusement à nous chauffer les oreilles. C’est comme ça les copains : les gens meurent, c’est dans l’ordre des choses, et des complaintes ridicules sur Facebook ou Instagram n’y changeront rien. Va même falloir s’y habituer parce que si le fan de rock commence tout doucement à intégrer le fait qu'il va vivre 20 mauvaises années niveau "idoles qui s'en vont", toute la génération des rappeurs et producteurs de musiques électroniques va elle aussi commencer à clamser, et je sens que tu vas prendre une baffe si tu pleures la mort de Laurent Garnier alors que tu ne connais que « Crispy Bacon » dans sa discographie. Car c’est ça aussi : se plaindre de la mort de tel ou tel artiste ne serait pas un tel cancer si les principaux intéressés ne donnaient pas l’impression de découvrir l’artiste au moment de leur mort. Alors on comprend bien que l’environnement créé par les réseaux paie bien socialement les gens qui parlent pour ne pas dire grand-chose. Mais si l'envie te prend de gloser sur la mort prochaine de ton nouvel artiste préféré, rends-toi service, va te réécouter les classiques de Motörhead et de Prince (et pas le seul single que tu connais d’eux) et pour ce qui est des réseaux, va te taper en silence des vidéos de chat déguisés en super-héros ou mieux, l’intégrale de Ricky Berwick. (Simon)
La vidéo, nouveau meilleur ennemi des webzines indépendants
Dans un monde dicté par l’algorithme de ton Facebook, les playlists intelligentes de Spotify et les recommandations de tes potes qui tiennent sur une feuille de PQ, les raisons d’exister pour un média comme Goûte Mes Disques sont à peu près aussi nombreuses que les Femen à un concert de Migos. Mais Goûte Mes Disques est un média totalement indépendant, en ce sens qu’il ne bénéficie d’aucun soutien financier, et n’a pas l’intention d’aller s’imposer d’interminables contraintes administratives en échange de quelques centaines d’euros de subventions. Après, on n’est pas débiles non plus : à dépendre exclusivement de la bonne volonté des autres, on est vite bridés dans notre désir de proposer d’autres choses à un lectorat dont les habitudes de consommation ont bien changé. Comprenez-nous bien : on aime écrire et on ne va pas s’éloigner de notre core business juste pour faire du reach. Mais on le voit bien, la vidéo est aujourd’hui devenue indispensable, mais représente un coût considérable pour une ASBL qui n’a pas envie de faire du Konbini et fait appel à un savoir-faire qui coûte cher. Mais alors que GMD entre dans sa dixième année, la volonté de continuer à exister et à évoluer est plus présente que jamais. Et là, on comptera comme d’habitude sur votre soutien (vous pouvez commencer par acheter les plus beaux t-shirts de 2017 tiens) pour nous pousser à ne jamais lâcher l’affaire. Et puis comme on rentre dans notre dixième année, attendez-vous à de belles choses en 2018 : des concerts sur Bruxelles et Paris, un blind test qui s’annonce encore plus challenging que les autres années, une nouvelle version du site web, une scène GMD à un chouette festival qu’on aime, et peut-être même un livre dans une maison d’édition qu’on tient en très haute estime. (Jeff)