Les leçons de 2017 (1/4)
En attendant nos tops albums thématiques qu'on publiera comme chaque fois en début d'année, on a décidé de se refaire l'année écoulée au travers de leçons qui nous permettent de repenser aux 12 mois écoulés dans un bel esprit de transversalité.
Mach-Hommy est peut-être l’homme de 2017, mais personne ne le saura jamais
L’existence de ce dossier, on la doit à Mach-Hommy. En pleine réalisation de nos tops, on a remarqué que pris individuellement, les 10 albums ou EP’s du MC du New Jersey ne pourraient peut-être pas rivaliser avec DAMN., Ipséité ou Godfather. Et puis on s’est aussi dit que de placer un de ses disques dans cette liste, ce ne serait pas faire honneur à l’année incroyable de ce fer de lance d’un « new boom bap » très crasseux qui vit en totale marge des tendances et empile les bons (voire très bons) disques dans une indifférence un peu criminelle. Dans le cas de Mach-Hommy, on ne peut que déplorer un manque de visibilité dont il est le seul instigateur, puisqu’il a décidé de n’être présent sur aucune des principales plateformes de streaming, supprime des vidéos de ses titres à tour de bras sur YouTube, ne permet même pas l’écoute de son catalogue sur son Bandcamp, et monnaie son œuvre à des prix que n’oseraient même pas pratiquer des galeries d’art contemporain – comptez 1.000 dollars pour DUMP GAWD : MACH HOMMY EDITION et ses productions de Earl Sweatshirt ou The Alchemist, et la même somme pour SPOOK, EP intégralement produit par Knxwledge. A l’arrivée, si le meilleur moyen d’écouter ses disques restent encore le téléchargement illégal, il existe une voie détournée et légale de mieux appréhender cette scène: en écoutant le dernier Roc Marciano (Rosebudd's Revenge) ou les albums de la clique Griselda Records de Conway, Westside Gunn et du producteur Daringer, désormais tous liés par un deal avec Shady Records – une décision qui nous confirme qu’il reste encore quelques neurones dans la tête d’un Eminem qui a assassiné Slim Shady sur un Revival qui est un naufrage digne du Bad Buzz d’Eric et Quentin. (Jeff)
On a envie d’être en 2018 pour savoir si BROCKHAMPTON sera le meilleur groupe du monde ou le plus gros pétard mouillé de ces 5 dernières années
Le crew californien BROCKHAMPTON s’est véritablement pointé dans le jeu avec l'incendiaire « HEAT ». Puis on a pu s’envoyer derrière une série de titres tous aussi brûlants les uns que les autres, venus composer la trilogie SATURATION sortie sur cette seule année. Et la presse musicale de s’emporter, comme souvent devant un produit aussi bien marketé. Le phénomène pouvait se résumer dans cette unique exclamation: Odd Future est de retour. Nous, on trouve que les disques commencent doucement à porter leur titre avec une adéquation déroutante. Si la logique de vouloir inonder le marché avec une musique raffinée présentait une force certaine, on se questionne toujours plus sur la pertinence des ses impacts réels. BROCKHAMPTON est assurément lié au génie - au talent, ce gros mot - mais n’est-il pas destiné à se saboter pour survivre en existant encore dans sa propre légende ? Leur venue a réveillé le hip hop alternatif, certes. Cependant, on peut s’étonner du manque de réalisme dont ils font preuve : enchaîner les titres, fournir la performance de taper juste avec constance et se poser dans un dynamisme rare ne permettent pas nécessairement d’atteindre le Panthéon du cœur, de laisser un nom et une marque. On reconnaît que l’évolution, voire la maturation, est totalement prégnante au fil de leur discographie, mais elle n’assassine pas. A force de tabler sur la saturation, nos brillants déglingués oublient de s’assurer l’avenir et l’incendie risque de devenir feu de paille. Au gourou Kevin Abstract de nous prouver le contraire. (Amaury)
Come on my selectors
En 2017, les selectors étaient partout. Ce terme qui désignait à l'origine les disc jockeys sur la scène reggae est aujourd'hui utilisé pour décrire une catégorie de plus en plus vaste d'ambianceurs ayant développé une passion maladive pour les bacs des disquaires, les soirées à cramer la Mastercard sur Discogs et les nuits à se perdre dans les méandres de YouTube. Les plus connus ou respectés d'entre eux se nomment Young Marco ou Motor City Drum Ensemble, et ils ont vu leurs cachets augmenter de manière exponentielle à mesure que leurs sets se garnissaient d'improbables pépites tenant régulièrement notre Shazam en échec. Il suffit de constater le succès d'un festival comme la franchise batave Dekmantel (qui investit désormais le Brésil et la Croatie) et le HORST en Belgique, ou l'hystérie collective déclenchée par une date de l'écurie amstellodamoise Rush Hour ou l'annonce d'un B2B Hunee x Antal pour prendre conscience que l'épiphénomène qui s'est progressivement et très naturellement mué en vraie tendance lourde. On en veut pour preuve que dans un festival comme le Dekmantel justement, des slots en début de journée sont réservés à des gens comme Marcel Dettmann ou Nina Kraviz histoire qu'ils démontrent qu'ils ont le niveau (et la collection de disques rares) pour intégrer ce qui est souvent perçu comme une espèce d'élite dans le monde du deejaying - et puis ça doit surtout leur changer des tunnels techno à 10.000 boules les deux heures. (Jeff)
Drexciya est toujours dans tous les cœurs (et dans toutes les oreilles)
Difficile de croire qu’il y a déjà 13 ans que James Stinson a quitté cette Terre tant toute une partie de la scène électronique a semblé évoluer comme à la grande époque de Drexciya cette année. Si Helena Hauff n’a clairement pas attendu 2017 pour jouer de l’électro aux quatre coins du globe, difficile il y a quelques années d’imaginer DJ Stingray connaître le même succès, tant le DJ cagoulé se faisait rare. Et pourtant il a cette année enchainé les dates sur toute la planète et surtout donné à une nouvelle génération l’opportunité de redécouvrir Drexciya avec son CD mixé pour Kern. Une relecture immensément moderne, et qui illustrait bien toutes les facettes du duo de Détroit en plus de proposer un très beau tour du proprio de la scène électro. Pour continuer le culte, on a également eu droit cette année à deux offrandes auxquelles on ne s’attendait pas ou plus: un nouveau disque de Dopplereffekt, qui prolonge toujours plus en avant la science-fiction d’un Grava 4, et surtout le splendide et lumineux Laptop Café de Jack Peoples, qui montre le chemin plus doux-amer et mélancolique que semblait vouloir prendre Stinson après Lifestyles of the Laptop Café. Le point commun entre tout ces éléments ? Celui de recréer à nouveau une nébuleuse de l’électro (peut-être de manière très fugace il est vrai) et de rejeter tout passéisme ou nostalgie. (Côme)
Mastodon a écrit le meilleur titre des Queens of the Stone Age de 2017
Avec leurs racines communes et leurs relations incestueuses (le supergroupe Gone Is Gone), Queens of the Stone Age et Mastodon sont devenus au cours des quinze dernières années les deux Panzers du riff qui fracture les tibias façon Witsel vs. Wasil. Mais si leurs ambitions semblent a priori similaires (en gros, placarder « sold out » à l’entrée de salles de plus en plus grandes), leurs sorties respectives (Villains et Emperor of Sand) affichent des stratégies bien différentes pour y parvenir. Alors que les premiers ont embrassé ouvertement leur versant pop en s’adjoignant les services de Mark Ronson (pour rappel monsieur "Rehab" et "Uptown Funk") et en se mettant directement à dos une bonne partie de leur fan base, les seconds arrondissent eux aussi les angles (réécoutez Remission ou Leviathan si vous en doutiez) mais le font de manière plus douce et insidieuse, en infiltrant au passage des titres espions pour mieux attirer dans leurs filets les oreilles entre deux eaux. "Show Yourself" est ainsi devenu le single qui aurait probablement du figurer sur le dernier QOTSA. Sauf qu’il ne s’y trouve pas. Et tandis que QOTSA prend le risque de diluer sa base la plus coriace, Mastodon surprend à séduire les orphelins en recherche de décharge électrique. Résultat des courses: nous nous sommes rués au concert de Mastodon à l'AB le 15 novembre mais nous avions bizarrement piscine pour celui des Queens au Sportpaleis deux jours plus tard. (Gwen)