On sait comment, en une dizaine d’années, le phénomène Les Ardentes a eu la mainmise sur le territoire musical liégeois, éclipsant la quasi-totalité des projets dissidents qui tentent d’y émerger. Cette domination a ses inconvénients et ses avantages. Le régime autocratique a logiquement ses détracteurs, de l’alternative bohème des Barbantes au journal satirique Le Poiscaille (qu’on vous encourage d’ailleurs à nourrir), qui dénoncent de trop larges privilèges (en matière de subsides notamment) et l’œcuménisme d’une programmation n’hésitant pas à recourir au pire pour divertir les masses. Si, conservant notamment le souvenir douloureux d’une prestation infâme de Steve Aoki, nous souscrivons volontiers à ces critiques, nous avons déjà souligné les mérites d’une entreprise qui a su s’imposer dans une région où les projets musicaux ― et en particulier les festivals ― sont souvent découragés et qui, au-delà d’un paquet de bras cassés, est parvenue à attirer un nombre impressionnant d’artistes de qualité. L’institutionnalisation des Ardentes a engendré des projets annexes, depuis les Transardentes, grande foire électronique d’hiver, jusqu’à la réouverture prochaine de la salle Reflektor, née des cendres de la Soundstation et dont on ne manquera pas de vous parler - Swans et Sharon Van Etten déjà programmés, comment ne pas se réjouir? Cette institutionnalisation a également favorisé des rites et des traditions : parmi ceux-ci figure l’annonce des premiers noms, coïncidant désormais avec la soirée des Transardentes, qui se tenait ce week-end.
De même que certains considèrent le mercato comme la partie la plus excitante de la saison footballistique, il se trouve quelques personnes pour préférer aux festivals la période qui les précède, où se multiplient les rumeurs et où les programmations se dévoilent progressivement. Pour sa première salve de noms, l’équipe des Ardentes est restée fidèle à sa politique, révélant l’une ou l’autre têtes d’affiche susceptibles d’assurer le sold out, artistes consensuels (ou « fédérateurs ») et bonnes surprises habituelles. Cette année, c’est à Iggy Pop que reviendra le rôle paradoxal du has been attractif, tandis que Tinie Tempah parviendra sans doute à assurer la relève du Joe Piler Saloon à coups de wobbles du meilleur goût. La Roux continuera sa tentative chimérique de renouer avec le succès qu’elle a connu en 2009, Metronomy pourra étaler à loisir toute sa platitude en étant assuré d’un accueil favorable et on compte sur les insignifiants Oscar and the Wolf pour combler un public souvent conquis d’avance par les artistes belges. En revanche, on ira applaudir avec un vrai plaisir le génial Erlend Øye, on relancera l’interminable débat sur Fauve en les regardant défendre le deuxième volet de Vieux frères, on prendra le temps d’apprécier la pop aux élans folk de Woods et celle, anglaise et faussement minimale, de Baxter Dury, et on écoutera avec intérêt ce que les distingués Balthazar nous ont réservé sur leur nouvel album à venir. On sera également attentif à la multiplication des étiquettes génériques improbables avec le duo post-punk des Sleaford Mods et la glo-fi de Slow Magic. Intéressant, ce début de mercato.