Le vent souffle sur la presse culturelle anglophone, et pas forcément dans la bonne direction
Ces derniers jours, trois informations ont fait peu de bruit par chez nous, et pourtant elles vont avoir un véritable impact sur la façon dont certains d’entre nous découvrent la musique. D’abord il y a eu l’annonce de la pause indéterminée prise par l’excellent webzine américain Tiny Mix Tapes, qui était une source intarissable d'articles extrêmement perchés au sujet d’artistes qui l’étaient souvent tout autant. Si vous ne les connaissiez pas, lisez leur classement des meilleurs disques des années 2010, il résume bien l'esprit qui animait cette bande d'inconnus (la plupart des contributeurs écrivaient sous pseudonyme) et il surclasse tous les autres à tous les niveaux.
La semaine dernière, on apprenait également que Scott Lapatine, fondateur et rédacteur en chef de Stereogum, avait racheté le site qu’il avait fondé en 2002 au Billboard-The Hollywood Reporter Media Group, qui l’avait intégré à son giron en 2016 à la faveur du rachat de SpinMedia, propriétaire du site depuis 2006. Si on ne sait trop quel sort sera réservé au site, on peut imaginer que dans cette nouvelle configuration, la bataille économique risque d’être plus ardue que jamais. Enfin, on a appris à peu près au même moment et de façon pas officielle du tout que FACT Magazine, ressource très précieuse pour les amateurs de musique électronique au sens le plus large du terme, allait arrêter le contenu éditorial (les articles donc) pour se concentrer sur la production de vidéos, probablement conforté dans cette décision par le succès d’une série comme Against The Clock, qui voit des producteurs disposer de 10 minutes pour produire un son.
À l'évidence, ce sont autant les nouveaux modèles de consommation de produits culturels que l'évidente difficulté à financer la presse écrite à travers la publicité qui sont à l'origine de cette redistribution des cartes dans le secteur des webzines. Soyons clairs : ceux-ci semblent être les victimes collatérales du "syndrome Guignols de l'info", qu'on peut résumer comme suit : si l'on trouve des hordes de fans éplorés pour hurler leur désarroi sur les réseaux sociaux, ce sont souvent les mêmes pleureuses qui avaient arrêté de regarder l'émission (et dans le cas d'espèce, de consulter suffisamment régulièrement ces publications) qui ont entraîné sa perte. Dans le cas des Guignols, ce n'est pas forcément grave dans la mesure où des capsules satiriques, cela ne manque pas, même si celles-ci n'auront jamais la visibilité du programme de Canal à sa grande époque. Par contre, quand un webzine ou magazine jette l'éponge, c'est rarement pour être remplacé par un concurrent produisant autant de contenu critique un tant soit peu consistant.
Face à une offre qui se réduit irrémédiablement, on observe forcément une raréfaction des voix qui racontent des choses intelligentes, et toute l'attention se concentre alors sur une poignée de publications qui, à leur corps défendant, se retrouvent investies d'un pouvoir et d'une influence qu'elles n'ont pas forcément demandées - pensez à ce que représentent aujourd'hui Pitchfork, Resident Advisor, XLR8R ou The Quietus. Et pensez aussi à un Internet où ceux-ci viendraient à disparaître. Il y en aura toujours pour nous dire que des ambassadeurs du bon goût et des gens capables de vous donner envie de découvrir des nouvelles choses en quelques bons mots, on a en tous des dizaines sur Twitter ou Facebook. D'aucuns auront également le loisir de torpiller des modèles éditoriaux qui ne sont plus en phase avec un public dont le temps de cerveau disponible se fait bouffer par des vidéos de moins de 10 secondes et des playlists Spotify. Un argument pas forcément indéfendable, mais qui tient la route tant que quelques références subsistent - mais pour combien de temps encore?
Et puis si vous n'avez toujours pas compris, lisez ceci et aussi ceci.