Le monde selon Radiohead, documentaire étrange mais néanmoins captivant
Vendredi dernier était diffusé sur Arte le documentaire réalisé par le français Benjamin Clavel « Le monde selon Radiohead ». Le film se propose de sonder la carrière du groupe et d’ausculter les mots/maux que le chanteur disperse depuis leurs débuts sous le nom d’On a Friday jusqu’au dernier album en date A Moon Shaped Pool, soit près de trente ans de musique et autant de messages politico-philosophiques adressés au subconscient de son fidèle auditoire. L’objectif du film est de montrer ce qui dans l’instrumentarium et les textes du groupe fait de Radiohead une entité indissociable de son époque et un symbole de revendications universelles et de contemporanéité.
Les intervenants sont presque tous issus de la sphère littéraire (auteur, biographe, philosophe, romancier), ce qui confère toute son originalité au film, loin des postures à l’honneur traditionnellement dans ce type de documentaires. Chacun d’eux y va ainsi de son parallèle entre le groupe et les thèmes chers aux grandes figures de la littérature que sont George Orwell (la dystopie), Noam Chomsky (la critique de la médiacratie) ou Thomas Pynchon (les concepts scientifiques). L’exemple le plus intéressant de cette intellectualisation est donné avec « Fitter Happier » (Ok Computer) qui schématiserait la posture d’opposition et de sensibilisation à l’œuvre chez Radiohead qu’il faut toutefois distinguer d’un engagement politique manifeste. Parmi les intervenants, l’auteur Michel Delville résume parfaitement l’idée : « Il y a des choses que vous pouvez faire à votre échelle pour améliorer votre sort et il est nécessaire pour arriver à ce but d’être critique, de pratiquer l’art du soupçon qui caractérise toute l’œuvre de Radiohead ». Au gré d’extraits de concerts, de clips, d’interviews de Yorke (trop rares malheureusement) mais aussi d’images sorties de l’imagination du réalisateur, on navigue avec les intervenants autour de nombreux sujets allant du nucléaire aux accidents de voiture, en passant par le « Pay what you want » d’In Rainbows et... le poumon d’acier. Le parti-pris de contextualiser voire de conceptualiser ainsi la production du groupe est très louable et offre un regard neuf sur un groupe dont on croit pourtant tout connaître.
C’est néanmoins un sentiment étrange que laisse ce documentaire, à l’image, au fond, de celui laissé par « Fitter Happier ». Aussi interrogeant soit-il, il nous ferait presque oublier que Radiohead est avant tout un groupe de pop dont l’art est avant tout influencé par le jazz, le rock, l’électronique et la musique classique contemporaine (ce que le vénérable Steve Reich vient heureusement rappeler dans la seconde partie du documentaire), plus que par les tweets débiles de Donald Trump ou les dérives consuméristes. Et c’est d’ailleurs à un acteur-clé de l’histoire que revient le dernier mot au générique pour rappeler la véritable vocation de Radiohead et illustrer toute l’ironie et le paradoxe de ce film.
« Le monde selon Radiohead » est déjà disponible en replay sur le site d’Arte.