La tournée verte : Massive Attack à l’assaut du dilemme de l’industrie musicale des années 2020
On a tellement l’habitude de détacher ce qui est culturel de ce qui est économique qu’on en oublierait presque que la musique est, d’une manière générale, un produit de consommation. Consommation dans le sens d’un produit de marché, certes, mais également dans le sens énergétique. Alors que la question de l’écologie de la production matérielle de disques ou de cassettes – et ce malgré le retour du vinyle – perd un peu de son sens, et alors qu’on n’a jamais eu une telle impression de facilité en ce qui concerne les échanges culturels, plusieurs énormes problèmes persistent.
Et si on aborde plus fréquemment la question de la consommation électrique des serveurs qui accueillent les sites de streaming, on met moins souvent sur la table celle des tournées. Lorsque votre groupe de potes fait une tournée dans sa caisse entre Namur et Valenciennes, c’est pas encore trop problématique. Mais les artistes qu’on voit en festival se trimballent dans le monde entier avec toute une équipe, sans parler même des décors qui peuvent nécessiter le transport d’un conteneur entier. On parle pour certains groupes de plusieurs dizaines de voyages en avion par année, et il est désormais notoire que le trajet aérien est de très (très) loin le plus polluant de tous. Alors de quoi parle-t-on exactement ? Et bien selon certaines études, la question du transport pourrait concerner plus de 90 % de la pollution créée par un événement musical, si on compte le déplacement du public. Monstrueux.
Il y a quelques temps, on avait entendu parler de Coldplay, qui mettait en suspens sa tournée le temps de trouver une solution écologiquement viable, faisant référence à la lettre adressée au gouvernement américain par David Byrne, Thom Yorke et d’autres artistes sur l’hypocrisie générale du milieu politique et du milieu artistique à ce sujet. On parlait alors de scènes fonctionnant à l’énergie solaire, et d’un transport sans émission de carbone. Massive Attack va même plus loin en invitant tous les artistes proposant des tournées internationales à se mettre immédiatement en recherche d’analyses et de solutions.
Dans un op ed publié dans le journal britannique The Guardian, Robert Del Naja prend la parole au nom du groupe, et n'y va pas par quatre chemins en évoquant l'hypocrisie des campagnes visant, par des bonnes actions à compenser les émissions de CO2 ("The concept of offsetting creates an illusion that high-carbon activities enjoyed by wealthier individuals can continue, by transferring the burden of action and sacrifice to others – generally those in the poorer nations in the southern hemisphere."), le besoin d'un changement radical ("Given the current polarised social atmosphere, uplifting and unifying cultural events are arguably more important now than ever, and no one would want to see them postponed or even cancelled. The challenge therefore is to avoid more pledges, promises and greenwashing headlines and instead embrace seismic change.") ou la possibilité d'arrêter purement et simplement de parcourir le globe ("We’ve also discussed ending touring altogether – an important option that deserves consideration."). Bref, l'époque est à l’urgence, pas au business (as usual).
Désireux de ne pas en rester aux bonnes intentions et aux effets d'annonce, Massive Attack annonce avoir commandé une étude au Tyndall Centre for Climate Change Research afin que celui-ci produise in fine une feuille de route vers la décarbonation des tournées. Une initiative louable certes, mais dont on peut à l'heure actuelle douter de la concrétisation vu le business juteux que représentent les tournées depuis que les différents acteurs du secteur ont reporté les pertes consécutives à la chute des ventes d'album sur le live... Wait & see comme on dit.