Jaki Liebezeit, l’éternel batteur du groupe allemand Can est mort cette semaine après avoir maltraité ses peaux pendant un demi-siècle au service de la musique d’avant-garde.
Marqué par le free jazz US, il commence sa carrière auprès de grands musiciens comme Manfred Schoof ou Alexander von Schlippenbach, la crème du free allemand. Vient ensuite, à la fin des sixties, la rencontre déterminante avec Irmin Schmidt le temps de deux soundtracks Agilok & Blubbo et surtout Kamasutra qu’ils enregistrent en trio avec Holger Schüring aka Holger Czukay sous le nom d’Inner Space. On peut déjà parler de groupe pré-Can car il s’agit là de l’ossature du groupe qui inaugurera sa discographie en 1969 avec Monster Movie et Jaki Liebezeit évidemment aux baguettes. Entre temps, le guitariste Michael Karoli et successivement Malcolm Mooney puis Damo Suzuki au chant ont rejoint le trio pour former ce qui reste sans doute le paroxysme du rock psychédélique teuton, vulgairement appeler Krautrock, j’ai nommé Can. Le son Can c’est une multitude d’influences. Les musiciens ont tous été bercés par les expérimentations de leur compatriote minimaliste Karlheinz Stockhausen, apprécient les musiques du monde notamment balinaise, les prémisses de la musique électronique, le rock d’avant-garde et tendent à jouer ensemble à la manière d’un quintet de jazz avec une grande attirance pour l’improvisation.
Jaki Liebezeit est alors le métronome de la troupe dans le sens où c’est lui qui imprime le tempo par son jeu de batterie syncopé et indique la voie à suivre au reste du groupe pour improviser. Son jeu est très saccadé, heurté et accélère sans cesse la cadence des morceaux. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter l’album culte de Can Tago Mago et les tracks Oh Yeah ou Hallelujah pour comprendre l’importance de Liebezeit dans cette extraordinaire cacophonie. C’est d’ailleurs lui que l’on entend presque toujours introduire les morceaux du disque. Les autres chefs-d’œuvre du groupe, Ege Bamyasi et Future Days donne également un aperçu des prouesses du batteur, entre déchaînement animal (Pinch, Bel Air), breaks imparables (Vitamin C, Moon Shake) et aménités (le magnifique Sing Swan Song).
Lorsque le phénomène Can commencera à s’essouffler, Liebezeit volera de ses propres ailes et multipliera les collaborations avec divers artistes issus de l’électronique d’avant-garde, du jazz, de la new wave et même du punk. Il jouera au sein de formations comme Phantom Band ou the Flood et croisera la route, entre autres, de Jah Wobble, Pascal Comelade ou plus récemment Robert Coyne. Il retrouvera également régulièrement ses anciens camarades de Can, Holger Czukay ou Damo Suzuki et restera ainsi très prolifique jusqu’aux dernières années de sa vie.
Souvent imité, rarement égalé, Jaki Liebezeit a transformé la pratique de son instrument et influencé de nombreux batteurs avec son sens du groove légendaire qui n’appartenait qu’à lui. Qu’il repose désormais en paix au paradis des fûts.