In Dust We Trust #19

par la rédaction, le 19 décembre 2021

À la fois aubaine et business, l’exercice de la réédition du classique (avéré ou qui s’ignore) et de l’excavation de vieilleries disparues du circuit implique chez l’auditeur·ice un peu curieux·se une occupation assez conséquente du temps de cerveau disponible. Histoire de vous aider à y voir un peu plus clair dans cette jungle, GMD a lancé In Dust We Trust, sélection vaguement trimestrielle de ce qui a mobilisé notre temps de cerveau.

Various Artists

Mainstream Funk

Nous sachons : les fêtes approchent et l’inspiration est plus absente que les vrais sujets dans une campagne présidentielle. Forcément, céder à la tentation de la compilation est une option qui gagne en crédibilité à mesure que le jour J approche. Mais on ne vous en voudra pas ici. Enfin, tout dépend de la compilation. Partez du principe que toutes celles qui ont eu droit à leur paragraphe dans les précédentes itérations de ce dossier sont dignes de votre portefeuille. Vous pouvez donc ajouter dans votre panier la présente compilation éditée par WEWANTSOUNDS sans craindre l’enroule. D’abord parce que le label parisien est plutôt expert en la matière, lui qui par le passé nous a permis de découvrir ou s’offrir à prix raisonnable des oeuvres de Don Cherry, Ryuichi Sakamoto ou Alice Clark. Ensuite parce qu’il est, entre autres choses, spécialisé dans les rééditions consacrées à Mainstream Records, le label fondé par le producteur Bob Shad dans les années 60 et qui donne son titre à cette compilation au nom trompeur : non elle n’a rien de mainstream, et le funk est loin d’être le seul genre qui y est représenté. En ce sens, à l’instar de This Is Mainstream en 2019, Mainstream Funk multiplie les pistes et les portes d’entrée en piochant dans un catalogue qui fait honneur au funk bien sûr, mais aussi au jazz ou à la soul – et cela sur une période qui va de 1971 à 1975. Y croise-t-on des gens connus ? Pas pour le commun des mortels. Y croise-t-on des choses qu’on croit avoir déjà entendues ? Oui, comme cette reprise du « Inner City Blues » de Marvin Gaye par Sarah Vaughan (peut-être pas sa contribution la plus essentielle au catalogue Mainstream, mais soit) ou la version originale de « Super Duper Love », le titre sur lequel repose à peu près toute la carrière de Joss Stone. Ailleurs, c’est surtout de belles découvertes que l’on fait, à l’instar de cette joyeuse cavalcade jazz-funk du saxophoniste Pete Yellin, qui à elle seule résume assez bien l’ambition portée par Mainstream Funk : du plaisir, et encore du plaisir. (Jeff)

Motorbass

Motorbass

Quand il n'était pas occupé à travailler d'arrache-pied sur le début de carrière de MC Solaar, Philippe Zdar cultivait son jardin secret en parcourant les raves de France et de Navarre. La suite on la connait : il tombe en pâmoison devant la techno, prend une claque en écoutant Richie Hawtin et Carl Craig, et forcément, ça lui donnera des envies d'ailleurs. Avant d'embarquer pour l'aventure Cassius avec son acolyte Boombass, il envoie d'abord avec Etienne De Crecy quelques ogives sous le nom de Motorbass, avant de sauter le pas en 1996 avec un unique album qui sortira quelques mois seulement avant que Daft Punk ne déboule avec Homework. Enregistré pendant les sessions de Prose Combat, deuxième album de Solaar auquel Zdar a largement contribué (on vous en parlait dans notre précédent dossier), Motorbass n'a pas grand-chose à envier à Homework : tandis que les Daft mettaient un point d'honneur à cracher des tubes maximalistes, Zdar et De Crecy lorgnaient plutôt du côté du minimalisme berlinois. Motorbass a aussi pour lui ce côté bricolé qui ne laisse planer aucun doute sur le passif du duo aux manettes : De Crecy et Zdar viennent du hip hop, et le disque transpire cet amour du sample bizarrement retouché pour faire danser les gens, assumant ce charme extra-terrestre imparfait, symptôme d'une musique qui se cherche encore mais qui, le temps de quelques titres fulgurants ("Flying Fingers", "Wan Dance"), laisse entrevoir un avenir radieux. Ce sera pourtant le chant du cygne de ce tandem qui, s'il se retrouvera le temps de quelques titres sur les cultissimes compilations Super Discount, n'aura plus jamais l'occasion de se retrouver en studio. (Aurélien)

Teddy Lasry

Funky Ghost (1975-1987)

Mais qui c’est ce bon vieux Teddy ? Forcément, on a envie de présenter Teddy Lasry comme le type qui intègre Magma dans les toutes premières années du groupe. Parce qu’il en sera le saxophoniste et claviériste peu après leur création, pour les trois premiers disques des années 1970, dont le génial Mekanik Destruktiw Kommandoh. Sauf que des artistes qu’on pourrait présenter comme des anciens membres de Magma, et ben... y en a une tripotée. Alors pour mieux cerner le personnage, on pourrait aussi rappeler que ses parents sont les membres du groupe expérimental Les Structures Sonores Lasry-Bachet (on savait donner des noms de groupe à l’époque, hein ?), qui maniait aussi bien les instruments que les machines, les verres en cristal et toutes les autres joyeusetés capables de faire du boucan. Mais ce qui définit peut-être le mieux Teddy Lasry, c’est justement le choix d’être seul, le choix de quitter Magma et de travailler sur sa propre musique. Parce que fondamentalement, il manquait un truc à Magma ou à ses parents, et que Teddy lui kiffait plus que tout : le groove. Voilà pourquoi Hot Mule Records a choisi d’intituler cette anthologie Funky Ghost, parce que c’est le truc qui saute aux oreilles quand on lance le disque. Du presque techno « Back To Amazonia » au presque dub « Chamonix », la musique de Teddy Lasry suinte l’amour d’un son qui se danse et ne sacrifie jamais le fun sur l’autel de l’expérimentation. Pourtant si on se sent obligé de « presquifier » tous les qualificatifs de sa musique, c’est justement parce qu’on y est toujours un peu perdu, ou plutôt un peu pompette. Une belle promesse, n’est-il pas ? (Emile)

YOB

Atma (Deluxe edition)

L’un des arguments de vente des nombreuses rééditions qui pullulent aujourd’hui sur le marché est le fait que le disque original s’est offert un petit passage apparemment nécessaire par la case « remastering ». Si le concept est louable, il n’est pas rare que sa valeur ajoutée sur le produit fini soit finalement très limitée – soit parce que le travail a été bâclé, soit parce que le disque n’en avait pas fondamentalement besoin. Dans le cas de Atma, sixième album du groupe de doom YOB sorti en 2011, pas d’enroule à l’horizon. À l’époque de l’enregistrement, le groupe voulait un son brut et lo-fi, dégoulinant d’une énergie punk – mission alors brillamment accomplie. Dix années ont passé depuis la sortie de Atma, et à l’occasion de cet anniversaire, YOB a cette fois voulu présenter ce monolithe doom de 55 minutes sous un autre jour, davantage en phase avec des plaques comme The Illusion Of Motion (2004) ou Our Raw Heart (le petit dernier sorti en 2018), deux folles bestioles au son encore plus massif mais présentant également davantage de relief. Et une fois encore, c’est une réussite absolue. En réalité, on peut même dire que cette nouvelle incarnation de Atma surpasse aisément l’original, le présentant sous un jour davantage en phase avec le reste de la discographie du groupe, mais surtout en faisant davantage ressortir les différents éléments constitutifs du son YOB – Mike Scheidt, seul membre permanent du groupe, n’a jamais caché son admiration pour Cathedral, Black Sabbath ou Candlemass, et ça s’entend plus clairement que jamais sur cette version remasterisée. Et puis n’oublions quand même pas le principal : le riffing est souvent phénoménal (notamment sur les deux premiers titres) et la performance vocale de Scheidt cataclysmique. Bref, les arguments ne manquent pas pour se foutre dans les oreilles un disque dont les versions physiques n’arriveront par contre qu’au mois de mars… (Jeff)

Can

Live In Stuttgart 1975 et Live In Brighton 1975

Un bootleg se situe souvent quelque part entre la bénédiction et le pis aller. C'est le bonheur d'entendre un groupe renaître de ses cendres le temps d'un voyage spatio-temporel, et la perspective de chier des ronds de serviette avec un son des plus aléatoires qui vient parasiter l'écoute pour une bête histoire de micro mal placé. Alors forcément, quand une grosse structure comme Mute annonce la sortie de plusieurs bootlegs de Can, groupe culte du krautrock, on a envie de mettre la main au portefeuille : on n'imagine pas une seule seconde que la structure anglaise veuille bêtement faire de l'argent sur le dos d'un des plus grands groupes du monde, ni qu'elle puisse le faire sans qu'une horde de fans enragés vienne torpiller la page Discogs de la sortie en cas de foirage. Bonne pioche : à l'écoute des deux premiers lives ressortis par la structure, captés à Brighton et à Stuttgart en 1975, difficile de se dire que le son est tiré d'une cassette tant celui-ci est ample, et capte à merveille l'énergie d'un quatuor alors au sommet de son art.

Bien sûr, on peut noter de légères déficiences par moments, mais c'est pinailler face au travail abattu : d'abord parce qu'on imagine que pour un groupe qui met à un point d'honneur à improviser sur une scène, c'est déjà un miracle de ne pas se retrouver face à un chaos généralisé ; ensuite, parce que le label semble avoir scrupuleusement pioché parmi une large collection de lives dignes d'intérêt, et dont le remaster apporterait une vraie valeur ajoutée. Ces deux concerts, premiers d'une série qui doit se prolonger dans les mois à venir, c'est aussi l'occasion de réaliser combien la musique de Can traverse à merveille l'épreuve du temps avec ce jeu fiévreux et mathématique et qu'elle porte toujours en elle ce groove cosmique qui peut s'étaler sur un quart d'heure sans donner de signes de fatigue. Enfin, bootleg oblige, il y a cette sensation particulière d'être dans le public, d'entendre ça ou là un briquet s'allumer pendant la performance, sans oublier ce mec un peu rébou qui interpelle le guitariste au premier rang. Bref, Live in Stuttgart 1975, c'est un peu comme emprunter la Doloréan de Doc, et c'est donc un immense lot de consolation pour ceux qui regrettent de ne pas être nés à la bonne époque. (Aurélien)

Alice Coltrane

Live At Carnegie Hall 1971

Ce n’est qu’une réédition vinyle d’un remaster existant, mais on ne pouvait pas manquer de parler d’une sortie pareille. Déjà parce que c’est bientôt Noël, et que vous voulez l’offrir à quelqu’un de votre famille qui n’a pas de platine et qui n’aime pas le jazz, pour pouvoir lui dire « bon, ben tant pis alors non mais c’est sûr c’est con je vais devoir le ramener chez moi », et aussi parce qu’il s’agit d’une des plus grandes performances – dit-on – de la harpiste légendaire. Il faut dire qu’en ce soir du 21 février 1971, au Carnegie Hall en plein Manhattan, Alice Coltrane était plutôt bien entourée. Moins de quatre ans après la mort de son mari, un petit saxophoniste local dont peu se rappellent, le clan Coltrane était toujours debout. Kumar Kramer, Clifford Jarvis, Jimmy Harrison, mais aussi Archie Shepp et Pharoah Sanders, tous se tenaient à ses côtés pour proposer un « Africa » de trente minutes, aussi bien hommage au regretté John que nouveau départ après la percée de ce dernier. Le free jazz est déjà bien lancé en 1971, mais il reste de la mémoire dans les esprits de tous·tes pour placer un concert pareil, tenu par un roster de cette qualité. Pour avoir écouté la version de l’année d’après, on sait que cette team était incapable de ne pas créer l’alchimie, mais cette soirée avait peut-être quelque chose en plus. (Emile)

Come

Don't Ask Don't Tell

En tant qu’ado made in 90’s, ce n’est pas faute d’avoir analysé à la loupe les crédits et les listes kilométriques de groupes remerciés dans les livrets de tous ces albums où la guitare était reine. Mais malgré cet acharnement de moine copiste et sans doute parfois trop attiré·es par les sirènes de gimmicks à la sauce distorsion, certaines choses visiblement incontournables passaient sous nos radars. Rien que pour ça, pas mal de rééditions tombent à pic. Alors que les années passant, nous n’avons pas manqué d’apprécier à leur juste valeur les carrières respectives de Thalia Zedek et de Chris Brokaw (Codeine, The New Year pour les plus (re)connus), nous avions tendance à laisser Come dans un coin de notre mémoire, faisant un peu partie des meubles et des bacs à soldes.

Et pourtant, rarement la redécouverte d’un disque de ces années un peu trop résumées au grunge ne pourrait se réduire à la nostalgie seule, ce rongeur d’objectivité difficile à déloger. Après des débuts chez Sub Pop pour une paire de singles, c’est sur Matador que la formation de Boston sortira quatre disques, dont ce Don’t Ask Don’t Tell en 1994 , deuxième et déjà dernier album pour le line-up originel. Pour faire court, si leurs contemporains de Sonic Youth pouvaient représenter une nouvelle incarnation d’un art-rock façon Velvet Underground, chez Come ce sont plutôt sont les paysages soniques dignes du meilleur de Neil Young que l’on se prend en pleine face, de « Finish Line » à « Arrive », en passant par des sommets comme « German Song ». Un lien de parenté partagé avec Nirvana, à qui on pense très fort par instants (« Yr Reign »). Impossible de parler de Come sans évoquer la voix de Thalia Zedek – plus proche de celle de Marianne Faithfull que de de Nico – et ses duels de guitares avec Chris Brokaw qui rappellent autant la classe de Television que les fulgurances post-hardcore de Drive Like Jehu ("In/Out"). En bonus, Fire Records a joint un deuxième disque d’inédits, dont une reprise des géniaux Swell Maps (« Loin Of The Surf ») et de X (« Adult Books »), histoire qu’on se sente vraiment en famille.