Si tu as déjà pouffé au concept d’un niveau de décibel acceptable et que tu t’émeus à l’écoute de chants gutturaux, c’est que tu as sûrement des New Noise trônant fièrement quelque part. Depuis 2010 (sans parler de ses anciennes incarnations Velvet, Versus et Noise), un des meilleurs magazines français s’est fait le fer de lance de la musique dite « extrême ».
Seulement voilà, depuis peu, une couille s’est pointée dans le potage. Les ventes ont diminué drastiquement et sonnent peut-être la fin de l’aventure, après une soixantaine de numéros. Le pouvoir d’achat en baisse et la crise économique ont évidemment amené leur lot de conséquences néfastes. Pour parler en détail du pourquoi et du comment de cette annonce, Goûte mes Disques s’est entretenu avec le rédacteur en chef Olivier Drago.
Goûte Mes Disques : Quel est le moral des troupes de New Noise en cette rentrée 2022 ?
Olivier Drago : Oh, nous ne sommes pas en dépression non plus, on a traversé d’autres tempêtes en presque vingt ans. Mais disons que nous nous sommes pris une grosse claque en rentrant de vacances, en apprenant le nombre de ventes de notre daté mai/juin, le n° 62. Nous avons perdu plus d’un tiers de notre lectorat, d’un coup. Alors que New Noise est un magazine dont les ventes n’avaient jamais vraiment bougé depuis ses débuts en 2004 sous le nom Velvet. Elles ont un peu varié au fil des ans, suivant les périodes et les numéros, mais à 300/400 exemplaire près, rien de comparable avec cette chute subite. Et donc assez inattendue, surtout après avoir passé sans encombre les deux années de pandémie, grâce au soutien de nos lecteurs et lectrices, qui ont continué à acheter le magazine malgré sa hausse de prix. Ce genre d’effondrement des ventes n’est jamais le bienvenu, évidemment, mais là il survient au moment où, suite à la crise des matières premières, le prix du papier ne cesse d’augmenter et alors que nos revenus publicitaires sont au plus bas depuis la pandémie. Si New Noise a toujours tenu toutes ces années, sans beaucoup de publicité, freiné à ses débuts par des éditeurs incompétents, dans un pays où défendre la musique que nous défendons n’est pas chose aisée, c’est grâce à son nombre de lecteurs constant, et à un équilibre financier trouvé grâce à lui. Si le lectorat nous fait défaut, il va nous être difficile de continuer.
GMD : Est-ce que New Noise est aujourd'hui en survival mode ?
OD : Non, pas encore. Parce qu’après des années 2017/2018 un peu difficiles à cause de la perte de nombreux annonceurs hors captifs, depuis 2019 le magazine se portait bien, grâce des ventes en légère hausse et à la mobilisation du lectorat qui s’est abonné en masse en 2020 quand nous avons expliqué que traverser la pandémie allait être difficile. Là, nous avons perdu beaucoup d’argent avec le n° 62, mais toujours grâce à la partie la plus fidèle de notre lectorat, qui a une nouvelle fois répondu à notre appel à l’aide en s’abonnant, en commandant des anciens n° ou en faisant des dons, nous avons comblé le déficit. Mais, car il y a un gros MAIS, si les ventes ne reviennent pas à la normale, nous ne pourrons pas continuer. Car avec cette baisse, le revenu des ventes est devenu inférieur au coût d’impression du magazine (qui en plus ne cesse d’augmenter) et nos revenus publicitaires, bien plus faibles et aléatoires qu’à une certaine époque, ne permettront pas toujours de combler ces pertes.
GMD : Comment faire en sorte que l'élan de générosité consécutif aux annonces catastrophistes s'inscrive dans la durée et garantisse la pérennité du modèle ?
OD : Je ne sais pas. On matraque en ce moment sur les réseaux sociaux, pour bien faire comprendre à celles et ceux qui ne veulent pas voir New Noise disparaître, qui nous suivent sur Facebook, Twitter ou Instagram, mais n’achètent peut-être pas systématiquement le magazine, que chaque vente, chaque abonnement compte, et que l’existence de ce magazine est fragile. Certains nous pensent increvables, j’en ai vu y aller de commentaires du genre « Pas grave, ils recommenceront sous un nouveau nom comme ils l’ont toujours fait ». Sauf que non, la situation n’est pas du tout la même.
Si le magazine a été rebaptisé à plusieurs reprises entre début 2004 et fin 2010, passant de Velvet à Versus, Noise puis New Noise, c’est à chaque fois parce que nous nous – l’équipe rédactionnelle – nous sommes séparés d’un éditeur, pas parce que nous avions perdu un tiers de notre lectorat. Depuis 2010, j’édite moi-même le magazine, la situation est totalement différente… Si vos moyens vous le permettent, si vous êtes un tant soit peu sensible à la ligne éditoriale de New Noise, si vous êtes restés curieux et aimez découvrir de nouveaux groupes et artistes, si vous vous voulez que le magazine survive, il faut systématiquement l’acheter, même si à première vue le sommaire ne vous attire pas plus que ça. Avec plus de 30 interviews/articles, et entre 150 et 180 chroniques de disques par n°, vous apprendrez ou découvrirez forcément quelque chose d’intéressant.
GMD : Quel regard portes-tu sur la santé de la presse musicale en 2022 ? Tu vois le format papier comme une forme de résistance ? Est-ce qu'un modèle "full digital" est inenvisageable dans l'écosystème de 2022 ?
OD : Non, je ne vois pas le papier comme une sorte de résistance. Avec New Noise, j’arrive à me tirer une paye, à payer (mal, mais à payer quand même) une secrétaire de rédaction, un graphiste et les contributeurs du magazine dont le métier est pigiste. Ce qui serait impossible avec un média en ligne. Je ne connais aucun média purement musical sur Internet, en France, dont les contributeurs, ou même uniquement une partie d’entre eux, sont payés. Peut-être Jack ? Mais le site appartient à Canal +… En ce qui concerne la presse musicale papier, de nombreux magazines existent encore : Rock Hard, Tsugi, Metallian, Rock ‘n’ Folk, Trax, Rolling Stone, Rock One, Jazz Magazine, Guitar Part, Reggae Vibes, Plugged, et j’en oublie. Beaucoup (bien plus) ont disparu, car de tout temps faire vivre un magazine musical a été difficile en France, même avant l’arrivée d’Internet. Je ne sais pas quel est le problème des fans de rock, de musique, dans ce pays. Et pendant ce temps, Sanglier Passion sort son 152ème n°…
GMD : Est-ce que les choix éditoriaux vont être revus pour les prochains numéros ?
OD : Non, pas dans l’immédiat, pas sur le n° 64 sur lequel nous travaillons en ce moment et qui devrait sortir entre le 18 et le 25 octobre. Nous ne nous expliquons pas cette chute subite des ventes. Alors, oui, les sommaires des n°62 et 63 nous paraissaient un peu moins forts que d’autres, et ces deux n° comptaient 16 pages de moins par rapport à la pagination habituelle et n’avaient qu’une seule couverture au lieu de deux. Tous ces facteurs cumulés à la situation économique actuelle ont peut-être conduit à ce résultat. Je ne sais pas, c’est la première fois qu’une telle déconvenue nous arrive. Quand tes ventes s’érodent peu à peu au fil de quelques années ou mois, tu comprends que le lectorat est en train de se désintéresser. Quand tout va bien alors que le monde vient de traverser une période très difficile, puis que tu perds subitement plus d’un tiers de tes lecteurs, tu ne peux que te poser des questions… qui resteront probablement sans réponse.
On va voir ce que donnent les ventes du n° 63, qui s’annonçaient au départ aussi mauvaises que celles du n°62, puis qui sont remontées suite à notre « campagne de sensibilisation » débutée mi-août, mais sans non plus être revenues « à la normale », d’après les chiffres obtenus deux semaines avant le retrait des kiosques. Nous aurons les chiffres définitifs dans quelques semaines… Le n° 64 sortira quoi qu’il en soit. Ensuite nous allons faire une petite pause, notamment pour avoir le temps de connaître les ventes définitives de ce n°. Puis en fonction, nous verrons si nous revenons ou pas pour un n° 65 début 2023.
Si les ventes ne remontent pas, la motivation va en prendre un coup, c’est certain. Mais nous avons envie de continuer. Moi parce que c’est ce que j’aime faire, parce que c’est mon gagne-pain, mais aussi pour tous ceux qui se sont abonnés, ont prolongé leur abonnement, ont commandé des anciens n°, ont acheté un ou plusieurs exemplaires du n°63 ou carrément fait un don. On les remercie encore, tout comme celles et ceux qui ont fait passer le mot sur les réseaux sociaux ou ailleurs et qui nous ont écrit des messages de soutien. Mais également les salles de concerts, tourneurs, labels et groupes qui nous ont contactés pour prendre de la pub dans le n°64. Nous allons certainement proposer bientôt un questionnaire en ligne, histoire de voir si on peut en tirer certaines conclusions. Au lieu d’arrêter, peut-être opterons-nous pour un autre moyen de diffusion, un autre modèle économique, comme l’ont déjà fait certains. Nous verrons…
Par ici pour avoir accès aux anciens numéros.
Par ici pour t'abonner.