Ces derniers temps, défendre ma ligne éditoriale n'est pas une mince affaire : j'ai terminé 2015 en signant des papiers sur Maître Gims et PNL, et un peu plus tôt cette année, je n'ai rien trouvé de mieux à faire que d'écrire un article sur le passage de Jul à France 2.
Alors oui, fidèle lecteur de GMD, il faut bien l'admettre : le Aurélien des grands jours est un peu loin. Et même s'il aimerait prendre le temps de donner de l'amour aux derniers efforts de Grems et KING, il lui manque quelques journées dans sa semaine pour concilier sa vie personnelle et tout le reste. Car poser des mots sur la musique est devenu un luxe qui empiète sur 1001 autres priorités.
Pourtant je m'impose encore ce luxe à l'occasion. Je vais même te faire une confidence : même si j'en parle peu, mon iPod est encore rempli de choses qui enchantent mes trajets en RER. Bien sûr, tu vas sans doute me dire que je parle du dernier Yung Lean, Warlord. Pourtant, même moi qui ne suis pas bien objectif avec le Suédois, je dois admettre que j'ai trouvé ça mauvais. Même carrément dégueulasse. Tu te diras sans doute que mes oreilles ont enfin gagné en maturité et tu auras un peu raison. Mais tout ce que j'aurai à te répondre, c'est qu'aujourd'hui mes oreilles sont plus que jamais sur ce qui se passe en France. Car autant le dire : la langue française m'aura rarement autant excité qu'en 2016.
Je n'ai jamais pris le temps de te parler de Jorrdee, par exemple. Et si tu as déjà pris le temps d'écouter un de ses projets en entier, tu comprends sûrement pourquoi : le natif de Lyon est définitivement capable du meilleur comme du pire. En qualité d'auditeur, on a bien du mal à avoir un avis définitif sur la musique du bougre. Son dernier album par exemple, sobrement intitulé Bonjour Salope (tout un programme), ne déroge pas à la règle : sa musique est bipolaire et montre successivement toute sa beauté et ses limites. Douze titres où l'on passe de la levrette à la sodomie, sur fond de cloud rap, un genre qui sied à merveille à son grain de voix nasillard. Bonjour Salope, c'est donc un gros concentré de poésie vulgaire, mélangé à de la violence cryptique. En tout cas, ce n'est jamais loin d'être gênant, un peu comme sur ce freestyle où on flirte entre le génie pur et le malaise total. On ne peut pas dire qu'on aime tout le temps, mais le succès est là : Jorrdee a un vrai public derrière lui, et un potentiel à transformer. Et ça, ça nous inquiète autant que ça nous excite.
Parler de Nusky & Vaati après avoir abordé Jorrdee, ça n'a rien d'un hasard : la paire partage avec l'OVNI susmentionné des thèmes de prédilection assez similaires et une attitude entre l'émo et le white trash qui parle à la jeunesse. Pour le reste, la comparaison s'arrête là : la paire fait preuve de beaucoup plus de constance dans l'écriture. La preuve ? Leur premier album en commun, SWUH, est paru en juin dernier. Et son succès à retardement n'est dû qu'à un solide bouche-à-oreille qui leur a permis de faire les premières parties de Vald. Tout ce qui est enregistré dans le studio de Vaati ne se retrouve pas balancé à tort et à travers sur la toile. Et autant l'admettre : un projet qui ne nous impose pas l'effort de tri avec lequel on doit composer depuis que les rappeurs de France passent autant de temps en studio que Gucci Mane en prison, on prend avec grand plaisir.
En neuf titres, la paire a réussi à s'offrir un joli sans faute, qui joue la carte de la sobriété et s'épargne la bousculade de trop. Entre une déclaration d'amour à Katsumi et l'évocation des difficultés du passage à l'âge adulte, on ne peut s'empêcher de rapprocher le travail de la paire à celui de la clique DFHDGB, tant ils ne s'épargnent jamais une ouverture pop. Et si le fantôme de Young Thug plane sur les cordes de vocales de Nusky (en même temps, qui l'ATLien n'inspire pas en 2016 ?), le duo n'oublie jamais de s'offrir l'un ou l'autre morceau un peu plus posé. Comme pour prouver que même si ce sont des adolescents nourris à YouPorn, ils ne se privent pas de charmer ta gow avec une prod digne de figurer sur le dernier Justin Bieber.
C'est notamment le cas de "Goodbye", morceau de pop bontempi qui figure sur l'album solo de Vaati, et qui s'accompagne d'un clip cheesy au possible. Un titre qui a tout pour nous séduire et qui tourne en boucle depuis quelques jours déjà. Bref, vivement la suite.