Bandcamp est mort, vive Bandcamp.
Ce mercredi 2 mars 2022, l'entreprise Epic Games a annoncé l'acquisition de notre bien-aimée plateforme Bandcamp. Si les jeux vidéo ne vous intéressent pas, sachez juste qu'Epic est le développeur du meilleur moteur de gaming du marché (le fameux Unreal Engine), mais est surtout la firme possédant le mastodonte Fortnite.
Des milliardaires faisant joujou avec leurs milliards ce n'est pas nouveau - d'ailleurs, l'un des vice-présidents est co-propriétaire de l'une des meilleures franchises de NHL, les Carolina Hurricanes. Alors, pourquoi cette décision, et quelles en seront les conséquences ? C'est bien là que le bât blesse: le communiqué de presse ne raconte absolument rien au-delà de l'habituel exercice de corporate bullshitting, et reste extrêmement vague sur l'impact de ce rachat sur l'expérience utilisateur de Bandcamp.
Si la direction de Bandcamp avait obtenu un accord qui empêche Epic de procéder à des changements très spécifiques, cela aurait été mentionné. De même, s'il s'agissait d'une véritable collaboration, et non d'une simple vente de l'entreprise sans réel objectif, le communiqué de presse aurait été plus explicite. Mais rien de tout cela ici, si ce n'est l'assurance que les services actuels (Bandcamp Friday, Bandcamp Daily) ainsi que le business model ne vont vraisemblablement pas être modifiés à court terme. À long terme cependant, il y a plus de chances que ça parte sévèrement en cacahuète que l'inverse.
Du côté de Bandcamp, il faut peut-être y voir une volonté de combattre la politique d'Apple concernant les achats dans les app stores, en plus de l'avantage évident d'avoir plus de ressources pour rénover et développer des fonctionnalités, notamment le système de paiement. Epic s'est positionné en faveur des cryptomonnaies, des microtransactions, et des NFTs. Cela signifie qu'à terme, vous pourrez peut-etre acheter un splattered vinyl d'un obscur groupe de death metal avec des Dogecoin, acquérir des NFTs de votre groupe favori, ou obtenir des bonus tracks comme DLCs.
Si ces exemples peuvent prêter à sourire, il faut préciser qu'Epic Games n'a pas une réputation de saint dans l'industrie vidéoludique. Premièrement, Epic appartient à 40% à Tencent, l'un des plus grands conglomérats multinationaux chinois, qui joue également un rôle important dans la perpétuation de ce qui est essentiellement un média d'État.
Epic Games est également responsable de l'une des plus grandes tactiques anti-consommateurs de l'industrie du jeu vidéo de ces dernières années. En effet, Epic Games a acheté les droits d'exclusivité de jeux tiers sur PC, ce qui fait d'eux la seule vitrine pour un certain nombre d'entre eux. Par exemple, lorsque Hitman 3 est sorti sur PC, le seul endroit où vous pouviez l'acheter et y jouer était sur la boutique d'Epic, vous obligeant à utiliser leur plateforme, même si celle-ci n'offre aucune autre valeur. C'est la mentalité du "Quoi, vous ne voulez pas utiliser notre shop ? Très bien, nous allons vous obliger à l'utiliser."; tactique qui leur a valu un bashing monstre lors du rachat de Rocket League.
Ne soyez donc pas étonné si Bandcamp est renommé Epic Music dans deux ans. Ne soyez pas non plus étonné si le log in se fera un jour avec un compte Epic. Dans le pire des cas, Bandcamp ne sera qu'une autre plateforme de streaming avec une échelle de rémunération à peine meilleure que celle des concurrents - ce qui n'est pas le cas actuellement. Dans le meilleur des cas, Bandcamp restera exactement pareil, si ce n'est que le site pourra bénéficier d'un meilleur design et d'un plus grand rayonnement - et vu l'amour qu'on lui porte, ce ne serait pas pour nous déplaire.
Si nous semblons céder à un alarmisme peut-être exagéré, s'il vous semble inutile de spéculer quelques heures après l'annonce, retenez au moins ceci : être informé sur les actions passées d'une entreprise, sur les liens de ladite entreprise avec des appareils d'État, et donc sur les conséquences possibles d'un tel rachat, nous semble de plus haute importance. Surtout quand il s'agit de Bandcamp, le dernier bastion garantissant l'indépendance des artistes.
Bandcamp est mort, vive Bandcamp.