Heureuse nouvelle pour les amateurs de rock indé et de dématérialisation: le mythique label ricain Drag City livre « enfin » - selon le point de vue - une bonne partie de son catalogue au géant mondial du streaming, ce joujou vert et bizarre qu'on appelle Spotify. Que les déviants se rassurent, les autres plateformes, dont l'hilarant Tidal, ne sont pas en reste. Dans ce belle giclée de pépites à s'écouter plus ou moins gratuitement, on trouvera bien sûr les groupes qui ont assis la renommé de cette charmante écurie – Silver Jews, Smog, Ty Segall et Six Organs of Admittance, sans oublier le grand Bonnie Prince Billie, mais aussi des noms qu'on a tendance à oublier comme P.G. Six, Espers ou encore Dirty Three. Petite séance de rattrapage en 5 disques à destination de ceux qui s'étaient égarés en chemin, quelque part entre Muse et Soundgarden.
Silver Jews – American Water
Malgré son statut de "super groupe" (on y croise souvent Stephen Malkmus, parfois Will Oldham, toujours le poète David Berman) Silver Jews n'a jamais acquis une réputation à hauteur de son talent. Et pourtant, American Water est un disque fondateur des années lo-fi, une grande récréation jubilatoire, plus bancale que tous les Pavement réunis, plus colorée qu'un vilain t-shirt tie & dye. Bref, un disque à la coolitude estivale sur orbite, à mille lieux de la nonchalance ô combien surjouée d'un Mac DeMarco.
Scout Niblett – The Calcination of Scout Niblett
Les mauvaises langues diront que rien ne ressemble plus à un disque de Scout Niblett qu'un autre disque de Scout Niblett. Ils n'auront pas tout à fait tort, car la rengaine semble toujours être plus ou moins la même: des arpèges, une énorme fuzz, une voix geignarde et un Steve Albini aux manettes entre deux recettes de cuisine. On a beau connaître la chanson, on y revient toujours. Et l'on sait de source sûre que Kiss, sorti sur This Fool Can Die Now, n'en finit toujours pas de faire chialer dans les chaumières. Cette puissance émotionnelle, on la retrouve ici sur 'I.B.D.', balade fiévreuse qui marque nos esprits égarés au fer rouge pour une paire d'année.
Ty Segall – Sleeper
Bah oui, on ne pouvait pas passer à côté de Ty Segall. Pour ceux qui s'y perdent (et on les comprend) dans sa discographie, Sleeper est la virée la plus folk du stakhanoviste californien. Et l'on peut affirmer que c'est peut-être ici que son talent mélodique s'exprime dans toute sa classe. Dépouillée dans son psychédélisme à fleur de peau, l'œuvre entend explorer les visions nocturnes qu'aurait eu Ty lors d'une période que l'on ne souhaite à personne, celle de la mort de son père et de la redéfinition de ses liens avec sa mère. On ne va pas se mentir, ce disque sent franchement la déprime. Mais étrangement, il s'en dégage une douce quiétude qui pousse à l'écoute addictive.
Dirty Three - Toward The Low Sun
Hébergé chez nombre de crémières de bon goût (Rough Trade, Bella Union, Touch and Go), Dirty Three a fait escale en 2012 chez Drag City pour son dernier disque en date, Toward The Low Sun. Ici, la bande à la mauvaise graine Warren Ellis ne tente pas de révolutionner l'esthétique Constellation, mais bien de proposer un disque classe et classique. Un violon, un piano bienveillant, des guitares qui crunchent puis qui explosent... mais est-ce qu'on serait pas dans un bon vieux disque de post-rock ?! Pour une fois, on ne s'en plaindra pas, et il ne vous reste plus qu'à vous passer le thérapeutique "Sometimes I Forget You've Gone" lors de vos séances dominicales de yoga pour vous en convaincre.
Circuit des Yeux - Reaching For Indigo
Pour finir, et pour vous prouver à quel point Drag City a su maintenir son statut de curateur suprême à travers les âges, penchons-nous sur ce disque intrigant de la prêtresse méconnue de Circuit des Yeux. Circuit des yeux, parlez-vous le français ? Mais pas du tout. Haley Fohr vient de Pennsylvannie, une terre visiblement fertile pour les hallucinations, et on ne serait pas étonnés de la croiser en forêt par là-bas dans un trip louche et pas forcément feng shui. D'ailleurs, la charmeuse de cyprès sort visiblement du bois après quelques années de break nerveux, et à l'écoute de Reaching For Indigo, on se dit que ça a dû drôlement bourdonner dans sa caboche. On n'y croirait pas, mais la formule envoûte fissa, entre kitschitude new-age et folk mesmérisante, peut-être grâce à cette voix de ténor si particulière qui semble vouloir nous reléguer au statut de petite chose.