Comme tant d'autres, le C12 a entamé une lutte pour sa survie
Le week-end dernier, la tournée anniversaire des 15 ans de la machine Ostgut Ton aurait dû passer par Bruxelles, et plus spécifiquement par le C12. Que Bruxelles fasse partie des villes visitées par cette tournée, cela n'étonne personne vu le rôle de caisse de résonance des musiques électroniques assumé par la Belgique dans les années 80 et 90 notamment. Mais que cela se passe au C12, un espace qui est occupé depuis 2018 seulement, en dit long sur le travail abattu par une petite équipe de fondus du bulbe qui est parvenue à fédérer une communauté et à pousser une programmation qui, au-delà des gros noms occasionnels, met surtout l'accent sur la famille des résidents, les artistes émergents, les profils innovants, et les noms qui valent davantage pour la qualité de leurs sélections que pour le reach de leurs posts Instagram.
On le sait, le moral n'est pas au beau fixe dans un monde de la culture et de la nuit dont de nombreux acteurs s'interrogent sur leur survie et leur pérennité ; et le C12 n'est pas une exception, comme nous l'a expliqué par e-mail Tom Brus, l'un des porteurs du projet : "D'un point de vue personnel, on va tous bien car la pause forcée nous a permis de nous poser un peu, de prendre du temps pour nous et cela nous a aussi permis de nous lancer dans de nouveaux projets. Nous avons commencé un label, Social Distancing. Il s'agit de 10 compilations qui représentent tous les styles que nous programmons habituellement au C12, mais aussi des collaborations avec des collectifs avec lesquels nous bossons régulièrement, comme Psst Mlle (ndlr: un titre exclusif de leur compilation qui sort demain est en écoute quelques lignes plus bas). Nous avons également commencé une série de podcasts enregistrés lors de nos club nights. Grâce à ces deux projets, nous pouvons continuer nos 2 missions qui sont d'une part offrir une plateforme d'expression aux artistes locaux et d'autre part proposer de la musique inédite et de qualité à notre communauté."
Alors qu'aujourd'hui le Conseil National de Sécurité doit annoncer une nouvelle vague de mesures dont on sait déjà qu'elles ne concerneront par les endroits comme le C12, on a voulu vous parler de la campagne de financement participatif décidée par le club. Lancée il y a deux semaines, celle-ci s'est fixé un objectif chiffré qui résume à lui seul l'ampleur de la catastrophe qui se dessine si des mesures structurantes ne sont pas adoptées : 50.000 euros. Et comme l'explique le C12, cet argent ne doit servir qu'à couvrir les frais fixes et éponger les pertes encourues pendant l'actuelle période de fermeture, et cela sans vraiment savoir de quoi l'avenir sera fait : "C'est difficile de se prononcer pour le moment. On prend un problème à la fois comme on l'a toujours fait jusqu'à présent, ça nous a toujours permis de nous en sortir donc on va adopter la même stratégie dans le cas présent : être flexibles et créatifs." En attendant, ce sont plein de chouettes contreparties qui ont été prévues, allant du t-shirt ou du poster pour les petites bourses à l'apéro privé dans le petit C11 en passant par le porte-clé qui donne un accès illimité au club pendant un an si vous êtes pris d'un réel élan de générosité.
C12 · C12 LIVE #3: Different Fountains (live set)
Flexibilité et créativité, mais également soutien. Ce n'est un secret pour personne : la Ville de Bruxelles a toujours soutenu un club dont le soundsystem se situe à quelques encablures seulement de la Grand-Place, mais comme le dit Tom Brus, "on verra pour la suite". En attendant, le milieu n'a d'autre choix que de s'organiser, et fait cela plutôt bien apparemment : "Je trouve vraiment que le milieu se professionnalise de plus en plus en Belgique. Depuis quelques années, pas mal d'acteurs sont arrivés avec des projets intéressants et sont maintenant bien installés. Cela crée un écosystème assez intéressant qui commence à se structurer pour travailler ensemble et faire remonter nos remarques et revendications. Avec d'autres dont le Beursschouwburg, le Café Central, ou le Bonnefooi nous avons créés le collectif 24hbrussels qui a pour but de repenser la façon dont Bruxelles vit la nuit, mais aussi de créer plus de lien entre les riverains des quartiers concernés par nos activités ainsi que les autorités. En plus de notre initiative, une fédération du monde de la nuit bruxelloise a été créée avec à sa tête Lorenzo Serra et Fryderyk De Peslin Lachert qui font du très bon boulot depuis le début de la crise et qui travaillent d'arrache-pied pour proposer des solutions et nous permettre de rouvrir le plus rapidement possible. Donc dans l'ensemble, je trouve que par rapport au moment où j'ai commencé les soirées Deep in House en 2012, le milieu s'est bien structuré."
Que le milieu se structure c'est une chose, qu'il rouvre dans de conditions dignes de ce nom c'en est une autre. Il y a quelques semaines, alors que l'Allemagne prenait un peu d'avance sur le reste de l'Europe, le Coconut à Munster organisait une "socially distanced open-air party" pour reprendre les termes utilisés par Resident Advisor dans cette news qui laisse un drôle de goût en bouche : entre le bonheur de voir un secteur qui use de son habituelle créativité pour ne pas crever la gueule ouverte et la peur de se dire que notre futur proche va peut-être ressemble à cela, on ne sait vraiment pas... sur quel pied danser. Tom Brus lui, a fait son choix : "Je ne suis pas très fan de ce genre de concept. Je trouve cela sympa que des événements aient lieu, mais le fait de limiter leur capacité pour ensuite demander des prix d'entrée beaucoup plus chers qu'avant la crise du Coronavirus ne m'emballe pas. Nous serions prêts à rouvrir le C12 même avec une capacité limitée, mais dans l'idéal nous aimerions que les pouvoirs publics nous aident afin de maintenir nos tarifs habituels, car nous pensons toujours que la culture doit être accessible au plus grand nombre et non aux plus aisés financièrement."
Et si l'on vous parle de la compagne de crowdfunding initiée par le C12 aujourd'hui, cela ne doit pas nous faire oublier toutes les autres structures que l'on apprécie et que l'on essaie de soutenir à longueur d'année comme nous le pouvons. Si certaines souffrent en silence parce qu'elles peuvent se le permettre pour le moment, d'autres aux reins moins solides ou aux économies plus précaires ont besoin de votre soutien, à l'image du Rockerill carolo qui propose de jolis t-shirts dessinés par Elzo Durt, ou du Kultura! liégeois, dont la campagne de soutien repose sur un concept simple : "une bière par mois, pour sauver le Kultura!".
Et pour ceux qui ne demandent pas explicitement votre aide, et on pense notamment aux salles de concert, achetez dès à présent vos places pour les événements annoncés pour la rentrée. Évidemment qu'on ne sait ni si ces dates seront maintenues, ni dans quelles conditions elles se tiendraient si les autorités donnent leur feu vert, mais pour être en contact avec pas mal de programmateurs, on peut vous dire que le travail qu'ils abattent actuellement est inversement proportionnel aux billets vendus chaque semaine, malgré des paquets de belles dates déjà annoncées pour les mois à venir.
N'oubliez jamais que derrière ces billetteries impersonnelles se cachent des personnes dévouées, qui traversent une période de stress intense, mais également des associations de bénévoles qui engagent des fonds conséquents pour se faire, mais surtout vous faire, plaisir - et on sait de quoi on parle, on a prévu de fêter nos 12 ans en novembre en faisant venir à Bruxelles l'un de nos groupes préférés, les post-punks parisiens de Frustration.