Bob Sinclar et Post Malone, héros inattendus et improbables de nos streamings confinés
On ne sait pas combien de temps encore on restera cloîtrés chez nous, ou à quelle vitesse on y retournera une fois qu'on aura commencé à retrouver un semblant de vie sociale, mais une chose est d'ores et déjà acquise : six semaines de confinement auront eu raison de notre capacité à bouffer des streams d'artistes confinés à toutes les sauces.
Entre l'offre délirante et la qualité assez variable des contenus proposés, l'enthousiasme initial a vite laissé la place à une indifférence polie, dont le symptôme le plus visible est le peu de retentissement qu'aura eu au final le One World : Together At Home porté par Lady Gaga, ce concert virtuel aussi mégalomane dans ses intentions que soporifique dans sa concrétisation - même si l'on doit quand même se réjouir que l'initiative ait permis de récoler 127 millions de dollars.
À dire vrai, dans ce contexte un brin sinistre, on n'attendait absolument rien de Post Malone ou Bob Sinclar. Pourtant, pour des raisons à chaque fois différentes, le rappeur texan et le DJ français ont démontré qu'il y avait encore des raisons de croire dans le concept du streaming confiné.
Commençons par Post Malone, qui jouait le plus gros, en annonçant un hommage streamé à Nirvana. Un peu comme si Kevin Parker de Tame Impala nous interprétait des reprises de Migos depuis son salon en somme.
Post Malone n'a jamais caché son amour pour le rock, mais il y a un monde de différence entre déclarer sa flamme pour un artiste ou un genre musical, et s'essayer à l'exercice de la reprise. Pourtant, son Nirvana Tribute a permis de renforcer la conviction qu'on pas mal de gens à son sujet : ce type-là est probablement devenu rappeur par accident, à la faveur d'un tube planétaire ("White Iverson") qui l'a complètement dépassé. En même temps, on aurait pu le voir venir : il se débrouille pas mal quand il s'attaque à Bob Dylan, son autre plus gros succès à ce jour s'intitule "rockstar" et notre chronique de son Beerbong & Bentleys faisait déjà le parallèle avec Blink-182. Bref, on n'était pas vraiment surpris de voir Post Malone prendre sa guitare accompagné de Travis Barker à la batterie.
Mais là où on aurait pu s'attendre à une vingtaine de minutes indigentes et d'un niveau de qualité digne d'une Fête de la musique, Post Malone s'est fendu de 15 reprises au total pour 75 minutes de son au totale. Et en plus d'avoir eu l'intelligence de ne pas s'attaquer à l'inattaquable ("Smells Like Teen Spirit" évidemment), il a eu les couilles de ne pas prendre les originaux à contre-pied pour masquer son manque d'ambition ou sa peur de mal faire. Du coup, une fois le stream terminé, c'est un K.O. debout mêlé à la sidération devant un tel coup de maître : annoncé comme un petit stream entre amis "to have fun and fuck around", cette prestation validée par Courtney Love est probablement le plus bel hommage rendu à Kurt Cobain au cours de ces dix dernières années, par un artiste dont le mal-être n'est un secret pour personne, et s'affiche jusque dans la myriade de tatouages chelous qu'il arbore sur le visage.
A une époque où le rap écrase tout sur son passage, il n'est jamais simple de faire vivre un passé glorieux rock à travers les nouvelles idoles des jeunes. Néanmoins, s'il y en a bien un pour donner de la crédibilité un revival grunge, c'est lui. Et dans une année 2020 où les classements de fin d'année seront impactés par un calendrier des sorties qui va prendre du plomb dans l'aile, gageons qu'une belle place sera réservée à ce stream qui se bingewatche comme une nouvelle saison de Curb Your Enthusiasm.
S'agissant de Bob Sinclar, la réflexion est toute autre. Depuis une petite dizaine d'années, le DJ des Hauts-de-Seine s'est lentement mais sûrement JCVD-isé. Ainsi, là où ses compères David Guetta et Martin Solveig ont eu l'intelligence de gérer leur carrière en bons pères de famille, lui a continuer d'exister comme s'il était le roi du monde, et que la nouvelle vague de l'EDM ne l'avait pas complètement ringardisé. Et comme avec le JCVD de la grande époque, chacune de ses apparitions est l'occasion de partir à la pêche aux memes et aux phrases cultes. On ne sait pas à quoi il carbure, but that shit is strong bro.
Dès le début de confinement, Bob Sinclar a entrepris d'enregistrer quotidiennement des "lockdown sessions" qui sont l'occasion pour lui de tuer le temps tout en donnant du bon temps - accessoirement, elles lui permettent de nous montrer qu'ils est l'heureux propriétaire d'une sacrée collection de statuettes du street artist KAWS et d'une panoplie de costumes qui lui permettront de tenir jusqu'à l'édition 2064 du carnaval de Dunkerque.
Soyons clairs, ces sessions ne jouent pas la carte de l'élégance à tout prix, pas plus qu'elles ne voudraient péter plus haut que leur cul - ce qui, dans le cas de Bob Sinclar, en dit long sur sa capacité à sortir un peu de son personnage au melon intersidéral dans lequel il habite trop souvent. Aussi, il y a dans cette façon de se foutre royalement du qu'en-dira-t-on et dans cette envie de faire n'importe quoi en toutes circonstances quelque chose qui nous fait dire que c'est grâce à des artistes comme lui qu'on arrivera au bout du confinement en ayant résisté à l'envie de se pendre devant une conférence de presse du gouvernement.
Et puis soyons honnêtes, derrière le bolosse aux tubes planétaires sur lesquels on a (trop) vite fait de déféquer, il y a un DJ dont les connaissances en matière de house et de disco sont encyclopédiques. Et cela, on l'oublie parfois un peu vite. Mais pour ceux qui auraient la mémoire un peu courte, on vous conseille d'écouter Paradise, formidable album de French Touch sorti en 1998 et qui a l'époque le voyait faire de l'ombre à Cassius ou Daft Punk. Ou de le suivre sur page Facebook, parce que le mec est pas prêt de s'arrêter en si bon chemin.