Avec Warriorecords, Rebeka Warrior ajoute sa pierre au fragile édifice des labels queer et militants
Dans un contexte anxiogène de #MusicToo où l'envers du décor et les non-dits se révèlent petit à petit, Rebeka Warrior a voulu créer son safe space en lançant le label Warriorecords, qui se veut "queer, transféministe, anti-raciste et résistant". Et bien que l'idée ne soit pas nouvelle, on espère que la renommée et l'implication dans différents projets musicaux de Julia Lanoë (Sexy Sushi, Mansfield.TYA et Kompromat) le feront durer. En effet, lorsqu'on se perd sur une encyclopédie en ligne bien connue, on ne trouve que quelques noms de "LGBT-related record labels" - pour une version française, on repassera.
C'est surtout avec l'émergence du queercore (mouvement culturel et social) au milieu des années 80 que se créent des labels, principalement basés à San Francisco et Portland, qui se revendiquent comme tels. Outpunk, créé par Matt Wobensmith, jouit du statut de premier label entièrement dévoué aux groupes de punk queer (il a notamment produit Tribe 8 ou Bikini Kill). S'ensuit la création de quelques labels indépendants qui ne passeront pour la plupart, pas les années 2000 (parmi ceux-ci : Candy Ass Record créé par Jody Bleyle, Chainsaw Records créé par Donna Dresch, Mr. Lady Records créé par Kaia Wilson et Tammy Rae Carland).
Les major ont évidemment tenté de s'approprier l'idée, Sony Music en 2006 avec le label Music With A Twist (chez Columbia Records), étiqueté "gay friendly", dont la durée de vie aura été de trois ans - ça en dit long sur les ambitions réelles du projet. Fin des années 90, Atlantic Record est l'un des premiers à créer une division consacrée au marketing gay et lesbien. C'est à cette époque et avec l'avènement d'internet que se développe un business ciblant les identités sexuelles et le genre, et son lot d'agences de référence pour labels incapables d'appréhender seuls les problématiques LGBTQIA+.
Outre Warriorecords, 2020 a vu naître en mai 51-53 (nommé d'après l'adresse du Stonewall Inn à New-York, bar d'où sont parties les émeutes de Stonewall qui ont occasionné les premières Pride), label Londonien consacré à la visibilité des artistes queer dans la musique électro. A Berlin, c'est le collectif Herrensauna qui s'est affirmé comme l'un des espaces queer underground les plus influents de la capitale allemande. D'ailleurs, il va sortir ce 16/10 un premier EP, qui réunit entre autres le résident Héctor Oaks et le Danois Peder Mannerfelt.
En lisant des témoignages d'artistes concerné(e)s, on constate que les violences homophobes des labels sont loin d'être une exception. Et c'est dans ce moment de ras-le-bol que ces artistes fondent leurs propres structures. La difficulté réside dans la recherche du juste équilibre entre l'espace créé par les revendications idéologiques et philosophiques du label, et l'étiquette restrictive ou marketée qui, finalement, vide la culture de toute son essence atypique. L'ambivalence reste dans l'affirmation de soi face à un monde qui veut tout monnayer, et la musique est une industrie comme une autre qui peine à s'affranchir du joug hétéro.
Tout cela pour vous dire que l'on souhaite bon vent à Rebeka Warrior et à Warriorecords. D'autant plus que les ambitions sont évidentes. D'abord "rassembler Techno, Acid, Hardcore, Poésie sonore, EBM, Chanson Mélancolique, Musique Expérimentale (...), sous un même drapeau noir." Ensuite, le label ambitionne des sorties mensuelles avec à chaque fois un produit qui se veut différent, et "dont les bénéfices iront directement dans les poches des concerné·e·s". Et enfin, quand on pourra à nouveau se le permettre, Warriorecords compte bien pimenter nos soirées et nos nuits, avec des soirées avec des plateaux et un service d'ordre, majoritairement composé de femmes, où seront proposés "des tarifs d'entrée suivant les moyens de chacun·e" avec à la clé une rémunération équitable de tous acteurs de la nuit.
En attendant de pouvoir écouter les premières sorties, on vous invite à aller faire un tour sur le site officiel de Warriorecords.