The WAEVE
Le courage me manque depuis bientôt deux ans pour aller jeter de vieilles poêles dans une déchetterie. Dans le même laps de temps, Graham Coxon et Rose Elinor Dougall ont sorti deux albums sous le nom de The WAEVE, se sont lancés dans une tournée et ont eu un enfant ensemble. Une efficacité british redoutable, surtout quand la musique est d’aussi bonne facture : new-wave saxophonesque, mélodies rock et atmosphère cuivres cordes sont au rendez-vous de leur récent effort City Lights. Le duo, pourtant visiblement fatigué, s’est entretenu avec une délicatesse désarmante sur leur collaboration artistique le temps d’un Zoom aux accents anglais démentiels. Le tout sans poser une seule question sur Blur, ce qui dénote une retenue remarquable de la part de Goûte mes Disques.
Vous avez sorti votre deuxième album depuis février 2023, tout en ayant eu le temps de tourner et d’avoir un enfant ensemble. Quel est votre secret pour tenir le rythme ?
Rose : Il n’y a pas de secret, je suis épuisée ! Nous voulions surtout profiter de l’élan du premier album et nous avons eu la chance de sentir qu’il y avait suffisamment d’idées nouvelles pour maintenir l’énergie. J’ai ressenti comme un véritable cadeau le fait d’avoir du temps pour être créative, loin de l’aspect domestique d’avoir un bébé autour de nous constamment. Parfois, il est important de se rappeler de ton identité en dehors du fait d’être une nouvelle maman. Le temps libre que nous avions pour travailler était une bénédiction et cela nous a propulsé en avant.
Graham : Même si nous étions très occupés l’année dernière, j’étais constamment prêt pour la moindre opportunité créative concernant The WAEVE. J’avais installé une sorte de petit studio sur la route pour les idées qui pouvaient surgir à n’importe quel moment. Nous étions aussi très stricts sur le fait de prendre du temps deux à trois fois par semaine pour travailler, ce qui était un programme similaire au premier album. L’énergie déployée donnait des résultats dont nous étions satisfaits ! C’était constamment très excitant et agréable à vivre d’un point de vue créatif.
Comment le manque de sommeil et le stress constant liés à l'éducation d'un enfant ont aidé la qualité de votre songwriting ?
Rose : C’était plus proche d’un rêve fiévreux ! Comme je l’ai dit, je pense que cela m’a permis d’apprécier un peu plus le temps que nous avions pour travailler ensemble. C’était un peu comme partir en vacances et c’est stimulant…
Graham : Je suppose que nous nous connaissions bien mieux lorsqu’on a écrit le deuxième album. Nous avions beaucoup de respect pour les opinions et la place occupées par l’autre mais nous pouvions aussi être plus honnêtes et rapides dans l’exécution. Cela nous a grandement aidé !
Il est clair que vous vouliez être plus audacieux et téméraires avec les sonorités de ce deuxième album. Comment expliquer cette évolution de votre collaboration musicale ?
Graham : L’album s’ouvre sur un "bang" massif avec "City Lights". C’est une chanson qui s’est développée au fil du temps et qui a en quelque sorte planté le décor. Nous avons voulu explorer ces sonorités...
Rose : Cette chanson a été un tremplin ! Nous nous sentions probablement plus confiants et avions une meilleure compréhension de ce qu’était le groupe par rapport au premier album. Avoir pu jouer en live nous a aussi fait comprendre comment tout cela pouvait mieux fonctionner et a donc influencé certaines approches que nous avons adoptés cette fois-ci.
Vous avez donc commencé à vous connaître en composant le premier album de The WAEVE. Comment avez-vous réussi à vous surprendre sur City Lights ?
Rose : Je pense que Graham a apporté des sonorités plus agressives, ce qui nous a amenés dans une direction différente. Il était aussi moins réticent à utiliser son langage à la guitare comparé au premier où il était dans la retenue. J’ai toujours aimé son jeu donc c’était excitant de le voir se lâcher.
Graham : Si je fais du raffut, Rose peut toujours équilibrer la chose au piano ou au synthé. Cette juxtaposition est très intéressante et utile. Les lignes de synthé des morceaux "You Saw" et "Broken Boys" m’ont beaucoup inspiré. Nous avons tous les deux une palette de sons que l’on peut utiliser à la fois pour des moments de douceur et des moments agressifs. J’ai un saxophone également et Rose a une voix ! Ça ne veut pas forcément dire qu’on va utiliser à chaque fois une section de cordes… L’aspect le plus intéressant est que l’on puisse harmoniser nos énergies dès que le moment est approprié.
Il paraît que vous avez commencé à composer des morceaux sur une mandoline. C’est le meilleur instrument pour avoir un songwriting organique basé sur l’improvisation et la jam ?
Graham : En quelque sorte… Je l’ai utilisé de la même manière que le cistre sur le premier album, en open tuning. Tu dois faire les changements d’accords d’une manière étrangement traditionnelle et folk. Tu fais un bond dans le passé ! C’était une manière intéressante de faire flotter les idées autour de nous. Mais il ne se passe rien tant que Rose ne chante pas sur ces accords. Elle comprend instantanément le pouvoir de cette musique.
Le groupe n’est pas fan de toute cette fantaisie et cette mystique que l’on peut trouver autour de la folk. C’est pour cette raison que City Lights a une certaine noirceur tout en ayant des fulgurances belles à chialer. Cette contradiction est ce qu’il y a de plus primordial pour vous ?
Rose : C’est le genre d’énergie qui m’attire le plus quand on parle de musique folk. J’ai toujours préféré ce côté brutal ayant des tripes. Je trouve l’aspect théâtral de la folk banal et irritant. Ça ne semble pas réel pour moi. Je veux trouver une sorte d’honnêteté et de réalité dans la musique que j’écoute. Ce n’est pas pour autant que je veux que tout soit déprimant ! J’ai toujours aimé qu’il y ait une mise en parallèle de l’ombre et de la lumière dans The WAEVE. C’est quelque chose que nous faisons très bien.
Graham : Les Anglais ont une relation étrange avec leurs propres formes d’art traditionnel. J’adore que ça soit le cas. Je pense même que j’ai essayé de faire sonner ma voix comme une vielle à roue au début de "Girl Of The Endless Night". J’ai été influencé par les ballades pour enfants de Martin Carthy, qui sont souvent des histoires terrifiantes. Les vieilles chansons folk traditionnelles étaient de cet acabit. Elles racontaient les choses horribles qui s’étaient déroulées dans un village : inceste, meurtres… Ce n’était pas juste de l’imagination !
Graham, j’ai lu que tu étais un peu effrayé et cynique par rapport au glamour. Pourtant, je trouve l’album sensuel et luxurieux. Comment tu expliques ça ?
Graham : Tout dépend du glamour dont on parle ! Ce n’est pas pour moi aller à des défilés de mode et se tenir à côté de la piste ou se rendre dans un club fantastique du West End. Je suis très méfiant d’une certaine conception du glamour parce que je trouve cela faux. Mais c’est aussi peut être parce que je suis une personne hyper vigilante en société ! Je ressens de l’anxiété et je suis plus méfiant que cynique. Je vois à travers le voile… Mais je suis sûrement trop dramatique.
Vous semblez tous les deux trouver important la portée cinématographique des compositions. Vous avez noté un changement dans votre manière de concevoir la musique depuis que vous écrivez des bandes originales pour des séries télévisées ?
Graham : On trouve surtout cela incroyablement fun d’arranger de la musique d’une manière orchestrale. J’adore les effets de dissonance à l’intérieur de sections de cuivres et de cordes. Il est aussi beaucoup plus facile de faire ces arrangements maintenant que des décennies en arrière.
Rose : Explorer les arrangements de cordes dans ce groupe a été l'une des parties les plus agréables de l'écriture. Je me sens très chanceuse d’avoir pu travailler avec un incroyable quatuor à cordes, l'Elysian Quartet, qui a joué sur nos deux albums. Ce quartet apporte toujours beaucoup d'énergie à mes arrangements et vient avec des improvisations incroyables qui ajoute de la couleur. C’est un vrai privilège d’avoir accès à ce monde sonore. On ne peut pas s’empêcher de vouloir ajouter des sections de cordes supplémentaires, ce qui propulse immédiatement les compositions dans une sorte d’espace cinématographique comme tu le dis. Nous essayons tout de même de ne pas tomber dans la surenchère. Il est important d’avoir différents types de saveurs. Les éléments punks de certains morceaux agissent comme un antidote aux arrangements plus luxuriants de l’album.
Vous jouez tous les deux de nombreux instruments au moment d’enregistrer pour The WAEVE. Guitare, basse, batterie, claviers, saxophone… Mais quel est l’instrument que vous ne supportez pas et que vous n’utiliserez jamais sur disque ? Et quel est celui dont vous rêvez de devenir des putains de pros ?
Graham : Je pense avoir essayé beaucoup d’instruments que Rose ne peut pas supporter ! J’ai dû renoncer à la fin…
Rose : Il voulait absolument utiliser un EWI, qui est un contrôleur à vent électronique. Ça fait juste un bruit horrible et stupide ! Je suis sûre que nous trouverons un jour le moyen pour que cela fonctionne mais pour l’instant nous n’y sommes pas parvenus.
Graham : J’aime beaucoup la guitare slide mais j’espère que cela n’apporte pas trop de vibe américaine. Je voudrais tellement pouvoir jouer à la perfection la pedal steel guitar car beaucoup de chansons que j’adore utilisent cet instrument. Mais ça sonnerait peut être beaucoup trop country pour The WAEVE… Le piano est aussi un instrument que je voudrais maîtriser. Mais avec Rose, je n’en ai pas besoin !
Après tant d’années de carrière avec Blur, les Pipettes ou en solo, j’ai l’impression que vous n’avez plus grand chose à prouver. Est-ce que la reconnaissance de la part des critiques, des journalistes et des fans est toujours aussi importante pour vous ? Ou alors ça vous passe par dessus la tête ?
Graham : Je ne peux pas dire que je me fous de la reconnaissance. Rose et moi-même avons tous les deux envie de créer de la musique et de jouer live. Si tu ne t’efforces pas d’obtenir la reconnaissance, tu te mets à l’abri. Ce n’est pas forcément le sentiment que je recherche.
Rose : Je suis très fière de la musique que l’on produit et ça me mettrait en colère si elle n’était pas reconnue comme étant bonne. Tu veux avoir l’impression que tu communiques quelque chose. Ce qui est le plus important pour moi est de provoquer une réponse émotionnelle. Il s’agit de savoir si les gens ressentent quelque chose lorsqu’ils entendent l’album… C’est génial de savoir quand c’est le cas.
Pensez-vous que vos sentiments compliqués à l'égard de la Grande-Bretagne soient le principal carburant du groupe et des compositions ?
Rose : Je ne pense pas qu'ils soient le principal carburant mais je pense qu'ils jettent une certaine lumière sur notre attitude. Nous sommes très anglais. Nous chantons avec un accent anglais et nous ne pouvons pas y échapper. Il faut donc apprendre à redéfinir sa relation avec sa propre identité nationale quand on vit dans un pays qui pose des défis à bien des égards et où il y a tant de choses auxquelles on ne peut pas adhérer. Je pense que le principal carburant est probablement la relation entre Graham et moi-même, qui est en quelque sorte séparée du monde extérieur et qui nous est propre, et qui fonctionne simplement.
Graham : Nous essayons de nous concentrer sur notre propre relation personnelle et sur la relation que nous avons avec ce pays plutôt que sur tous les aspects négatifs. Je préfère les images de la campagne et de la forêt anglaise plutôt que la politique. Même si l’extrême droite ruine toujours tout… J’aime ignorer le bruit ambiant. Je crois que tu es obligé de le faire si tu es créatif – si tu peins ou joue de la musique – pour pouvoir être authentique.
Vous pouvez voir qu’il y a un poster géant de David Bowie derrière moi. J’ai lu que la période Scary Monsters vous a particulièrement influencés pendant la composition. Plutôt la musique, l’imagerie ou la vibe générale ?
Graham : C’est une influence dont il est impossible de s’éloigner parce qu’il a couvert tellement de terrain ! Tu es toujours ramené à cet artiste si tu commences à jouer de la guitare d’une certaine manière finalement. Mais je pense plutôt que les choses ayant influencé Bowie pour cette période nous ont également influencé. Des trucs bizarres et alternatifs post-punk des années 70 : Chrome, Devo, Cabaret Voltaire… Ce réservoir sans fin d’inspiration est ce qui fait la force d’aimer la musique pendant toute une vie. Tu as tellement de choses qui flottent dans ton cerveau et qui peuvent être utilisées à bon escient… Certaines personnes ayant travaillé avec Bowie sont importantes et formatrices pour moi, notamment Robert Fripp. J’écoutais King Crimson bien avant de me plonger dans la discographie de David Bowie.
Dernière question : je vais être chiant mais je vais vous demander si vous avez des plans pour venir faire une tournée en Europe…
Rose : On adorerait venir jouer à Paris ! On est en train de planifier quelque chose pour l’année prochaine et on espère vraiment passer en Europe. Le Brexit ne rend pas la situation facile, c’est un putain de casse-tête. Mais on fait tout notre possible !