Interview

Set&Match

par Bahi, le 21 novembre 2010

C'est une semaine à peine après la sortie de leur premier album que nous rencontrons Set&Match, jeune groupe du Sud de la France qui secoue déjà la scène hip hop. Comment te dire! squatte déjà le haut des classements des plateformes digitales, et c'est à cette occasion que le quatuor me donne rendez-vous dans le cœur de Montpellier, chez Bunk. Autour de quelques bières bien fraîches, nous discutons avec Bunk, Spaaz, Jiddy Vibzz, Faktiss et deux de leurs compères DJ (Raziek et Dakunt) de leurs premiers succès, du rap actuel et de leur futur. Au fur et à mesure que les verres se vident et que les cendriers se remplissent, les langues se délient pour livrer un interview respirant la sincérité et la simplicité.

Goûte Mes Disques: Pour commencer, expliquez tout simplement à ceux qui ne vous connaissent pas encore ce qu'est Set&Match?

Faktiss: A la base, Set&Match c'était Bunk&Faktiss. Mais à force de rapper sur scène et de collaborer avec Spaaz, il semblait évident qu'il nous rejoigne. Puis cela faisait dix ans que je connaissais Jiddy Vybzz, il était donc logique qu'il rentre lui aussi dans le groupe. Au final, on a fait un truc à quatre, qu'on a appelé Set&Match. Pourquoi? Parce que c'est un nom assez neutre, que l'on peut s'approprier. Parce que bon, mis à part le tennis, ça ne fait penser à rien du tout, donc on peut en faire ce qu'on veut.

Goûte Mes Disques: La plupart des gens vous ont découvert il y a maintenant un an avec Grems, sur "Sec Ma Gueule". Comment s'est déroulée cette rencontre?

Bunk: C'est principalement en organisant des soirées avec Raziek et Dakunt. J'avais rencontré Grems via une amie, mais ça avait été très bref. On l'avait également vu sur scène, mais on n'avait pas trouvé ça fou. Par la suite, on s'était revu lors d'une interview et j'avais trouvé ça relativement original et authentique, donc on l'a fait venir une première fois. Il s'est finalement installé à Montpellier, on est devenus potes et les choses se sont faites petit à petit. Disons qu'il nous a aidés à diffuser notre premier album « Comme chez oit » , il nous offert une visibilité, une pochette et ce clip pour « Sec Ma Gueule » qui a été réalisé en deux heures et monté totalement à l'arrache.

Goûte Mes Disques: Ils vous a ensuite signé sur Deephop?

Bunk: Pas vraiment, vu que Deephop était un collectif, une grosse bande de potes qui avait du public mais pas d'argent. On a eu des subventions de la région Languedoc-Roussillon pour nos deux albums, donc il n'y jamais eu d'argent entre Grems et nous. Il n'y a jamais eu d'argent dans Deephop de toute manière!

Goûte Mes Disques: D'ailleurs cette histoire de label, c'est un peu flou? Entre DeepRo, DeepHop et Usle, c'est un peu le bordel.

Bunk: Le DeepRo c'est un truc que Grems a développé, c'est le fait de rapper sur de la house. Pour ce qui est de Deephop, il avait recruté des mecs avec lesquels ça ne s'est pas très bien passé. Donc Deephop n'existe plus. Et Usle, c'est sa marque, c'est également le premier truc qui génère un peu d'argent et qui va donc pouvoir aider les artistes à se produire. Par la suite, il est possible qu'Usle produise des artistes, comme cela se fait sur la plupart des labels actuellement: tu ne signes pas un artiste mais un morceau ou un EP. Donc si on résume, Usle est une marque de fringues, DeepRo est une manière de penser le rap.

Goûte Mes Disques: Justement, on va parler un peu de l'album. Tout d'abord, pourquoi l'avoir intitulé Comment Te Dire!?

Faktiss: Je trainais avec un pote qui n'arrêtait pas de dire « comment te dire », dans le sens « j'te le fais pas dire ». Au final c'est moi qui n'arrêtais plus de sortir cette expression. C'est devenu une manie, ça nous faisait bien marrer. Puis finalement on a pris ça, parce que ca veut tout dire et rien dire en même temps (rires).

Goûte Mes Disques: Vous pensez qu'il y a un "style Set&Match" qui vous différencie de la production française?

Bunk: Honnêtement, je pense que oui. Sans prétention aucune et qualité mise à part, je pense qu'on se distingue de ce qui se fait en France, même s'il y a pas mal de trucs qu'on ne connait pas dans le rap français. On est plus à l'image des Anglais à la limite. Notre style musical ne nous bloque pas en fait, on ne se dit pas « Il va falloir mettre du piano et du violon » ou « Il va falloir mettre des beats à 90 BPM » pour s'inscrire dans la logique du rap français.

Goûte Mes Disques: Sur l'album, il y a un featuring avec Greg Frite. Est-ce que ça fait quelque chose de rapper avec un mec de Triptik?

Spaaz: Carrément! J'écoutais que ça quand j'étais plus petit.

Faktiss: Perso, je ne connaissais pas quand j'étais petit, et puis quand Bunk m'a fait écouter leur album, ça m'a vraiment choqué, je me suis dit « Merde, j'ai raté ça ».

Bunk: Quand je leur ai fait écouter TTC, ils m'ont dit « C'est quoi ça? On ne connait pas ». Ils ne comprenaient pas, c'est un peu des générations qu'ils ont sauté.

Spaaz: Moi j'avais déjà écouté quand même.

Bunk: Ouais, mais Faktiss et Jiddy ne connaissaient pas trop ce côté nouveau rap. L'Armée des Douze, ils trouvaient ça chelou aussi. Et c'est justement à cette période qu'est apparu Triptik.

Goûte Mes Disques: On a parlé des featurings, présentez nous maintenant les DJ et producteurs de l'album, qui eux sont moins connus du grand public

Spaaz: Mago est un DJ de Perpignan, qui s'est installé sur Montpellier.

Bunk: Il apporte une grosse influence UK, des sons garage, dans le style du label Trouble&Bass, des sons à la Joy Orbison.

Jiddy: Et puis il y a UM qui vient lui aussi de Perpignan, et Monki-B qui est un pote d'enfance. Bunk a fait la prod de « J'me fait iech ». Il y a aussi Night Drugs, deux mecs de Montpellier devenu de gros artistes house/electro

Bunk: Il y a également Meezy, qui vient lui aussi de Perpignan, mais qui est maintenant installé à Londres. C'est lui qui a amené le style "ghetto américain" qu'on entend sur « Hater ». Chacun a amené son style, ils n'ont pas essayés de s'adapter à nous, c'est l'inverse. Et puis Massay, qui est un peu sorti de ses délires rap français pour nous et s'est dirigé vers un truc un peu plus minimal, à la Cool Kids, qui nous correspond vraiment.

Goûte Mes Disques: Vous êtes donc tous plus ou moins de Montpellier, est-ce que c'est un inconvénient d'être un rappeur de Montpellier, ou du moins de province?

Jiddy: Moi je trouve justement que c'est ça qu'y est bien, ça change.

Faktiss: Je pense que si j'avais grandi à Paname, je ne sais pas si je ferais ce genre de sons.

Raziek: C'est plus difficile de percer à Paris, il y a moins d'opportunités.

Jiddy: Je ne sais pas si un groupe comme Set&Match aurait percé sur Paris. Alors qu'à Montpellier, il n'y a pas vraiment de groupe qui fait plus ou moins ce qu'on fait.

Bunk: Il y a aussi l'audace de se démarquer qui joue. Ici, on connait tout le monde parce qu'on est les seuls à faire ce qu'on fait. Mais je ne sais pas si à Paris on aurait eu les couilles d'organiser des soirées. On n'aurait peut-être pas connecté Grems, Dabaaz ou Greg Frite, on serait peut-être partis dans une autre direction.

Raziek: Et puis les villes ont une identité propre, comme par exemple le rap marseillais. Ici à Montpellier, il n'y avait pas vraiment d'identité.

Goûte Mes Disques: Justement, la scène rap à Montpellier, elle est comment?

Spaaz: Il y a du son à Montpellier, mais est-ce qu'ils font du buzz? Pas tellement…

Bunk: Si, il y a Spleen qui fait son chemin et qui s'exporte pas mal. Il y a aussi J0ke, mais il n'est pas très actif sur la ville.

Goûte Mes Disques: Au delà de Montpellier, parlons de la scène française. D'après vous, qu'est-ce qui lui manque pour être aussi performante qu'aux Etats Unis?

Faktiss: Je pense que il y a trop de codes en France, c'est trop stéréotypé.

Spaaz: C'est aussi lié à la culture de la langue, les paroles, le sens. En France, on attache beaucoup plus d' importance qu'aux Etats Unis. Donc aux States, il y a plus de liberté pour dire des trucs juste pour que ça sonne bien. Et puis c'est vrai que l'anglais sonne terriblement bien.

Faktiss: Tu parles des textes, mais au niveau de la musique, le rap français c'est toujours la même chose!

Bunk: Aux Etats-Unis, ils n'hésitent pas à se mélanger ou à se croiser. Ce n'est pas la honte que Jay Z fasse un truc avec Kid Cudi, alors que nous on ne pourra jamais faire des trucs avec Booba.

Jiddy: Ce n'est pas la honte de faire de l'argent aussi. En France, tu fais de la monnaie, t'es classé commercial et t'es plus du tout crédible.

Bunk: Les rappeurs français n'ont aucune audace. Ils ne veulent pas s'ouvrir et sortir de leurs codes. Le courant mainstream du rap français est un peu tristounet. Ceux qui vendent, c'est Diams, Sinik, Booba. Je schématise un peu mais c'est ça. Booba, c'est l'OVNI, c'est le seul qui réussit dans l'indépendant et qui casse la gueule à tout le monde. Aux Etats-Unis, y'a plein de Booba.

Goûte Mes Disques: On parle justement de l'étranger, est-ce que Set&Match a un équivalent à l'étranger?

Spaaz: Forcément, parce que chacun de nous est au moins influencé par un rappeur étranger.

Bunk: On ne peut pas se comparer à nos influences. Je suis peut être influencé par Pharrell, mais je ne vais pas me comparer à Pharrell.

Spaaz: On ne se compare pas, mais notre musique elle s'inspire forcément de ce que ces types font.

Goûte Mes Disques: C'est quoi justement vos principales influences? Vos artistes références?

Spaaz: Le problème, c'est que j'en ai trop. Gainsbourg, pour moi c'est l'ultime. Après il y a Marvin Gaye, Bob Marley, Kid Cudi forcèment, Theophilus London.

Faktiss: Moi si je dois citer des rappeurs, ce sera Lupe Fiasco et Jay Z, parce qu'ils démontent tout. Il y aussi Kid Cudi et Theophilus London, parce qu'ils sont un peu dans la même vibe que nous. Après niveau chanteurs de soul, on retrouvera Sharon Jones, Otis Redding, Curtis Mayfield. Par contre je n'écoute pas trop de rock.

Jiddy: Idem. Je suis opé sur le jazz aussi, j'écoute du Diana Krall, du Ella Fitzgerald. Et puis j'écoute pas mal de hip hop français, à l'ancienne, genre Time Bomb.

Bunk: Moi j'écoute plein de musiques différentes, mais je suis quand même resté influencé au niveau de mes capacités, c'est-à-dire que je ne pourrai jamais rapper comme Lil Wayne, comme Pharrell ou comme Jay Z. Donc finalement, essayer de rapper comme un ricain, ça ne m'intéresse pas. J'aimerais que ma musique puisse ressembler à du Kid Cudi ou à du Pharrell. Au final, je pense que mes influences ça reste Triptik, du rap à l'ancienne, parce que les mecs ils savaient écrire. Aujourd'hui, il y a un vrai problème d'écriture dans le rap français. Et même Booba, je m'inspire vachement de sa manière de faire des punchlines, je trouve ça tonitruant.

Jiddy (imitant Booba): Fuck you, fuck la France, fuck Domenech! (rires)

Goûte Mes Disques: Justement d'après vous, comment évolue le rap? Est-ce que vous aimez la tendance que prend le rap actuellement?

Bunk: Le rap était bien avant, mais est mieux maintenant.

Spaaz: C'est impossible de dire que le rap était mieux avant. Quand on y réfléchit, ca n'a pas de sens.

Bunk: Quand t'écoute des vieux trucs, il y en a qui ont super mal vieilli. Et au niveau du flow, il y a eu du progrès. Lil Wayne rappe 100 fois mieux que Rakim. Jay Z rappe 100 fois mieux que KRS One. Rapper sur des beats de soul, ça peut être cool de temps en temps mais il faut essayer d'avoir des codes différents et de faire évoluer le rap. Après, il faut savoir ouvrir son esprit à des trucs qui ne te correspondent pas. Tu peux écouter du gros rap bling bling et dire que ça ne te correspond pas, mais la musique peut avoir une aura assez géniale malgré tout. Comment peut-on écouter du Michael Jackson alors que sa personnalité ne correspond à aucune autre. Il y a plein de gens qui disent que aujourd'hui ce que dit Booba dans ses paroles, c'est de la merde, parce qu'ils rapportent ça à la définition de ses mots. T'écoute Gucci Mane, ce qu'il raconte, ça ne te correspond pas, c'est amoral à souhait, mais c'est la vérité!

Spaaz: Les rappeurs américains disent de la merde en général.

Faktiss: Mais le rap, c'est aussi de la provocation. C'est normal que des rappeurs sortent des trucs comme ça, ça fait partie du jeu.

Goûte Mes Disques: On parle du rap actuel, justement, c'est quoi vos derniers coups de cœurs?

Spaaz: The Knife! C'est ça mon coup de cœur.

Faktiss: Moi j'ai surkiffé le « I want you » de Lupe Fiasco et le « Julia »de Theophilus London.

Jiddy: Moi c'est Cory Gunz et « Cannon », même si ce n'est pas très récent.

Bunk: Le dernier NERD a l'air pas mal aussi. Le morceau avec Daft Punk a un sacré leust. Pharrell aura du style jusqu'à sa mort.

Goûte Mes Disques: On arrive bientôt à la fin, parlons de vos projets un peu, des clips, des concerts, des collaborations? Vous clippez un morceau bientôt?

Spaaz: C'est ça, des clips, des concerts et des collaborations. (rires) Y'a un morceau qui est sur le point d'être clippé, c'est « Digestif ».

Bunk: « Digestif », ça va être un retour de soirée. Comme on a fait venir Greg Frite sur le titre, ca va pas vraiment être un clip, ça va plus être une vidéo de retour de soirée, qui va mélanger l'ambiance telle qu'on la vit ici pour le moment (ndr: whisky savamment dosé et cigarettes coniques) et l'ambiance dans la salle. Et puis tant qu'on profite d'une visibilté en digital, on pense à solliciter des DJ comme Raziek, Dakunt, NightDrugs ou Mago qui savent faire des sons un peu club pour faire un sorte d'EP digital composé de remix de l'album. Il y aussi des idées avec Greg Frite, mais aussi Rimcash et Didaï, qui sont très chauds.

Goûte Mes Disques: Question con pour la fin, les filles elles préfèrent lesquels alors?

Spaaz: Faktiss on a dit, c'est à cause de son côté brésilien ça. C'est le seul qui est déclaré, les autres ne sont pas déclarés.

Jiddy: Franchement, on est tous biens.

Spaaz: Non, il ne faut pas dire ça! Ecoutez les filles, on est tous en chien, c'est quand vous voulez! (rires)

Crédit photo: Maxime Raimond