Interview

Olivier Cachin

par Louis M, le 12 décembre 2023

À l’occasion du Rap Book Club organisé par CLNK à Bruxelles, on est allé à la rencontre d’Olivier Cachin. Référence dans le journalisme rap, il a commencé dans les années 90 en animant l'émission RapLine sur M6, puis MCM, jusqu'à devenir le rédacteur en chef du magazine Radikal. Plus qu'un simple passionné de rap, il en est un fervent défenseur. En plus de 30 ans au service de la culture hip hop, il a écrit de nombreux ouvrages sur cet univers. Son dernier livre Rap Story est une encyclopédie visant à faire découvrir la culture hip hop, notamment aux plus jeunes. Il est temps pour le journaliste de transmettre son héritage et ses anecdotes sur cette musique qu’il apprécie toujours autant.

GMD : Tu as sorti deux livres en 2022, le premier sur l'histoire du rap français dans les années 90 (ndlr: Rap in France : l'émergence du rap français dans les années 90); le second plus accessible et pédagogique - Rap Story. Tu voulais rendre cette culture abordable ?

Olivier : Avec Lazoo (le dessinateur de l’encyclopédie, ndlr), ce qu'on voulait, c’était proposer une porte d'entrée pour des gens qui ne connaissent pas l'histoire du rap. Ce qui est assez étonnant dans cette culture qui a démarré aux États-Unis il y a 50 ans maintenant, c'est que beaucoup d'auditeurs du rap, mais aussi des rappeurs, ne connaissent pas forcément l'histoire. Contrairement à la chanson française ou au rock, où on observe une meilleure transmission. Quelqu'un qui écoute du rock, il connaît les Stones, il connaît le Velvet Underground. Alors que j'ai vu dans le rap des personnes qui ne connaissent pas forcément IAM ou NTM. Avec cette encyclopédie, l'idée était de parler de façon ludique et illustrée.

GMD : Tu as choisi le terme d'encyclopédie pour décrire ce livre. Tu peux nous en donner ta définition ? 

Olivier : Sur les bords, ça peut faire un peu connard prétentieux. (rires) Mais en même temps, c'est ça l'idée ! On a la vocation d'être exhaustif, dans le sens où on balaye plein de sujets très variés : du rap japonais aux débuts de la trap jusqu’à l'apparition de l'autotune. Et avec cette encyclopédie, on veut que ça reste rigolo, facile d'accès. Chaque idée est liée à un artiste récent qui va commenter le chapitre. Ça permet d'avoir un ancrage durable. On a incrusté des interviews d’Orelsan ou de Mehdi Maïzi, ça permet à ceux qui sont seulement intéressés par le présent de comprendre que le old school ce n’est pas qu'un truc de vieux. Il y a des artistes actuels qui apprécient ou qui connaissent toute cette période et ses différentes étapes.

GMD : On voit sortir de plus en plus d'ouvrages sur le rap. Cette tendance doit te réjouir ? 

Olivier : Ça me fait tellement plaisir ! J'ai vécu pendant longtemps "tout seul". Et maintenant, il y a toute une nouvelle génération de journalistes, de podcasteurs, d'écrivains, qui ne sont pas seulement des sociologues. C'est quelque chose que j'ai toujours appelé de mes vœux. Moi, quand j'ai commencé à parler du rap, je me disais : "cette musique est excitante, la vie des mecs qui la font est aussi passionnante que les textes qu'ils donnent". Et je pensais que les critiques musicaux allaient justement rentrer dedans. Et pas du tout ! Ils disaient que ce n'était pas de la musique et que ça allait disparaître en six mois. Aujourd'hui, Fianso va à Sciences Po, c'est magnifique ! Je veux dire, c'étaient des trucs qui étaient impensables il y a vingt ans ! Désormais, ça s'est démocratisé et il y a de plus en plus de gens qui vont analyser et théoriser le rap.

GMD : Tu parles des 50 ans du hip-hop. On a célébré ses 50 ans cette année, et il n'y a pas eu énormément de manifestations et de célébrations dans la francophonie. Quel regard tu portes sur cet aspect ?

Olivier : 
Disons que le rap, c'est une culture de l'instant, il y a un focus sur le présent. Et pour ce qui est de la célébration, il y a eu Les Flammes. C'est la troisième fois qu'on essaye de faire une cérémonie autour du hip-hop. Les deux premières fois, ça n’a pas marché. On verra ce que donneront Les Flammes. Mais le rap demeure une musique tellement difficile à vendre aux grands médias. C'est d'ailleurs marrant, parce qu'aujourd'hui, on pourrait se dire que le rap a gagné la partie. Les salles de concert sont pleines, ça explose en milliards de streams, mais c'est quand même toujours une musique qui garde cette petite odeur de soufre, ce côté un petit peu scandaleux ! Régulièrement, il y a des procès ou des scandales, qui rappellent que le rap n'est pas une musique comme les autres.

GMD : Tu as connu 30 ans de rap, comment trouves-tu la limite entre ne pas tomber dans le jeunisme et ne pas apparaître comme ce vieux con qui pense que c'était mieux avant ?

Olivier : C'est vrai qu'il y a pas mal de gens qui sont dépassés. (rires) Je rencontre régulièrement des gens qui appréciaient le rap des années 90, et qui me disent : « C'est plus pareil maintenant. Tu as vu, les mecs, c'est nul, c'est n'importe quoi. Ils se prennent pour des dealers… ». Je pense qu’il faut juste apprécier le truc dans son ensemble, et faire un tri dans ce que tu veux écouter. Et je voulais donner avec Rap Story un regard sur le rap dans son ensemble. J'essaye de me placer comme un vulgarisateur, un peu comme un chaînon entre le rap et ceux qui ne le comprennent pas. 

GMD : Les jeunes et le public rap n’ont jamais été aussi engagés derrière les artistes. Par rapport aux années 90, tu trouves qu’il y a une différence ?

Olivier : Il y avait déjà un engagement fort dans les années 90, mais en proportions plus réduites. Le rap français fin des années 90, c'est une secte. (rires) Ce sont des gens qui se reconnaissent à Paris, dans les halles, avec la taille de leurs lacets de baskets. Je pense que c'est une musique qui ne peut se concevoir sans être passionné. Le monde du rap est un univers qui est tellement riche, tellement vaste. On peut se plonger dedans ou se contenter de rester à la surface. Et si l'on veut aller plus loin, il y a un autre monde qui se présente. Il y a différentes strates et on peut être le plus exhaustif possible ou, au contraire, simplement écouter le tout-venant.

GMD : Tu te définis souvent comme un touriste culturel. Tu peux nous expliquer d'où ça vient ? 

Olivier : Vu que c'est un milieu qui se présentait et qui a grandi comme une caste, je disais secte en rigolant. (rires) Mais c'est vrai qu'il y avait un côté famille, et pour être dedans, il y avait des codes qu'il fallait avoir. De mon côté, j'ai jamais habité en banlieue, je n'ai jamais porté de baskets, je déteste le sportswear. Moi, ce qui m'intéresse, c'est justement le côté culturel, l'aspect, les paroles, les musiques. Je crois avoir une vision de l'extérieur. C'est pour ça que je dis touriste ! Je ne me vois pas arriver avec une casquette et faire un yo-yo, comme certains l'ont fait de façon assez dramatique. C'est une manière de dire : j'aime la musique, mais je ne prétends pas être un B-Boy. (rires)

GMD : Le rock a souffert pendant longtemps d'un manque de journalisme indépendant. Est-ce que tu penses que c'est facile de critiquer le rap ? Est-ce que le journalisme peut être indépendant dans le rap ?

Olivier : Ah grosse question ! (rires) Je vais dire un truc, c'est très simple de critiquer un disque de rap américain. C'est peut-être moins évident de critiquer le disque de rap d'un artiste qui habite à quatre stations de métro de chez toi ou de ta rédaction. (rires) Et c'est vrai que c'est compliqué, parce que si tu parles mal d'un album, l'artiste ne va plus te donner d'interviews ou de contacts. Il faut savoir être un petit peu consensuel, car si tu n'as plus un artiste qui veut faire une interview avec toi, tu vas te contenter d'écouter des disques et de les chroniquer ! Dans la chanson française, il y a plus de possibilités de critiquer. Le rap est une musique qui a tellement souffert de son isolement par rapport aux médias, c'est un peu de la musique de grands brûlés. 

GMD: Tu cites souvent Mehdi Maïzi comme ton fils spirituel, voire ton fiston. (rires) Que penses-tu du journalisme rap actuel ? 

Olivier : Je trouve que c'est quelqu'un qui fait un super boulot ! Il a ce côté, Michel Drucker (rires) qui aime tout le monde parce que, encore une fois, tu es obligé d'avoir un petit peu ça. Il est aussi capable de piquer de temps en temps ! Mais surtout, c'est quelqu'un qui sait faire dire des choses aux artistes. Je crois qu'un bon journaliste, c'est quelqu'un qui a aussi un bon contact avec les artistes et qui fait que l'interview va être intéressante. J'aime bien aussi Juliette Fievet (ndlr Légendes Urbaines sur Youtube), elle revendique à fond le côté positif. Pour elle, le rap est une musique qui a tellement souffert, qu'elle préfère donner du bonheur, et du positif. Et encore une fois, pendant de longues années, j'étais seul, et de voir tous ces médias, ça me rend heureux !