Moderat
Les premières fois sont de véritables sauts dans le vide, et la première interview en anglais ne déroge pas à la règle. Un saut d'autant plus difficile que ce jour-là, c'est Modeselektor qu'on part interviewer, quelques heures seulement avant leur live à la Machine du Moulin Rouge, histoire de faire le point sur le deuxième album de leur projet à trois mains avec Apparat, Moderat. Et qu'importe l'absence de Sascha Ring en cet après-midi pluvieux : les deux teutons auront assez de vingt minutes pour nous dévoiler les secrets de fabrication de cet album qui arrive dans les bacs. C'est court bien sûr, mais qui a décrété que, même dans ce genre d'exercice, la taille comptait ? Morceaux choisis.
GMD: La première question paraît évidente: entre le management de 50Weapons, votre monstrueuse tournée, deux albums pour Apparat et un album pour Modeselektor, comment avez-vous trouvé le temps de composer ce nouvel album de Moderat?
Modeselektor: Clairement, on en a chié. (rires) Les sessions se sont étalées entre nos dates de tournée, le temps qu’on a consacré à nos familles, la gestion du label et enfin nos projets respectifs - comme notre documentaire. Les douze mois qui ont précédé le mastering de II en mars dernier sont sans nul doute les plus durs que nous n’ayons jamais passé. Mais bon, l’album a été conçu en seulement trois mois de temps – enfin, pour être plus précis, six mois de discussions et trois de concrétisation en fait. (rires) Mais tout s’est fait dans d’excellentes circonstances, meilleures encore que pour le premier album dans la fusion de nos deux entités. On a vraiment eu la sensation de bosser comme un groupe, et c’était vraiment magique.
GMD : On croirait pourtant, à en juger par le côté plus lumineux de II, que sa réalisation était moins douloureuse…
Modeselektor: Absolument pas. Tout ça a réclamé de nous une spontanéité et une concentration hors-normes sur chaque piste. C’est aussi ce qui explique que cet album est vide d’invités, là où le premier album de Moderat comptait quand même la présence de Paul St Hilaire, Dellé et Busdriver : on a voulu faire de cet album une espèce d’île, une parenthèse où l’on se recentre exclusivement sur nous trois, un peu en marge de nos projets respectifs. C’est ce qui nous a d’ailleurs un peu obligés à renoncer à la présence de SBTRKT sur l’album. On a travaillé différemment aussi, moins dans une recherche du mélange de nos deux univers respectifs et plus dans l’optique d’en faire naître un troisième en marge. Ainsi, c’est un album très émotionnel, autant dans sa construction que dans son ressenti, tout en exprimant une certaine continuité avec le précédent.
GMD: Est-ce que vous sentez que ce côté émotionnel peut poser problème en live ?
Modeselektor: Pas réellement, puisqu’on ne cherche pas à exposer cet album plus que tout le reste. Ce sera un gros mélange de tout ce qu’on a fait, avec ce qu’il faut d’énergie rave et de " tubes". On a de toute évidence pas envie de retranscrire un peu bêtement en live les émotions et la construction qu’on aime à trouver dans un disque. Ceci dit, on a très hâte de le jouer: il n’y a que de cette façon qu’on relâche toute la pression accumulée lors des sessions d’enregistrement. C’est extrêmement libérateur et rafraîchissant d’avoir enfin les oreilles et la tête libre, surtout qu’avec le travail de défrichage qui nous est imposé depuis le lancement de 50Weapons, on n’a pas tellement eu l’occasion de souffler et de prendre un peu de recul.
GMD : Que ce soit dans le son moins techno de Monkeytown ou le côté plus acoustique de A Devil's Walk, la sortie du premier album de Moderat semble avoir été un réel tournant dans vos deux carrières...
Modeselektor : Moderat a tout changé pour nous. De notre côté déjà, ça nous a appris à travailler de façon plus spontanée et ça nous a convaincu d’investir dans un véritable studio. C’est d’ailleurs grâce à ça - et aux miracles de l’Internet – que Monkeytown n’a été composé qu’en douze semaines seulement, car seul Thom Yorke nous a rendu visite parmi la longue liste d’invités de l’album. Tout le reste ne s’est fait que via e-mails. A l’inverse par contre, Sascha a choisi de son côté de vendre l’ensemble de son studio, celui dans lequel nous avions enregistré le premier album, pour investir dans du matériel acoustique. Ca à été un réel tournant dans sa carrière. C’est d’ailleurs pour cette raison que II a été enregistré dans notre studio. On se rend un peu visite l’un et l’autre au fil des albums au final !
GMD: Que vous a appris ce mode opératoire ?
Modeselektor: A travailler vite et de la façon la plus simple possible. Et ici c’est clairement payant puisque aucun de nos projets n’a présenté autant d’homogénéité et de cohérence. Pour Modeselektor par exemple, il nous a fallu parfois jusqu’à six mois pour qu’on trouve la couleur d’un album. Ici, ce fut extrêmement automatique. C’est même la raison qui nous a poussé à exclure deux des pistes les plus fortes sorties de ces sessions, dont le titre "Last Time" qui apparaîtra comme titre bonus sur l’édition collector. On voulait vraiment faire quelque chose qui s’écoute d’un seul bloc – au grand dam de certains distributeurs qui souhaitaient qu’on fasse d’un de ces deux titres le single pré-album à la place de "Bad Kingdom". D’ailleurs, la couverture reflète parfaitement ce qu’on a voulu faire : au commencement, on a cherché à donner une nouvelle identité à ce projet, avec un nom d’album etc. Mais on a réalisé que ce n’était pas nécessaire, vu que le côté plus lumineux de ce deuxième album agit comme en contraste parfait avec le côté noir et blanc du premier album. Et donc, d'une certaine façon, dans un esprit de continuité.
GMD: En parlant de visuel d’ailleurs, Il y avait une forte identité visuelle apportée par le collectif Pfadfinderei sur le premier album. En est-il de même avec ce nouvel album ?
Modeselektor: Pour nous, c’est plus centré sur la musique. En fait, on évacue tout le côté visuel entre les mains de Pfadfinderei. Mais comme pour le premier album, oui, le collectif est investi dans le projet depuis le départ. On a toujours cherché à ce que cette partie visuelle reste strictement indépendante de nous, pour ne pas les influencer : on leur donne de la matière sonore, souvent en cours d’écriture, et ils ont carte blanche sur la partie visuelle. Il n'y a plus qu'à piocher ensuite. Ils savent comment on bosse et comment chaque image et chaque couleur peuvent réellement apporter un plus à nos lives. C’est un peu le privilège de l’ancienneté puisque ce sont de vrais amis et qu’on travaille avec eux depuis qu’on existe en tant que Modeselektor.
GMD: Une dernière question enfin : avec deux albums présentant une évidente continuité musicale et visuelle, peut-on logiquement supposer que l’histoire de n’arrêtera pas là pour Moderat ?
Modeselektor: Vu comme ce projet nous tient à cœur et vit encore au travers de nos projets respectifs, on a beaucoup de mal à se dire qu’on s’en arrêterait à deux albums. Maintenant de là a dire quand et comment ça va se faire ensuite, on ne sait pas, mais il nous reste encore beaucoup de choses à dire tous ensemble. Et ça, aucun de nous n’en doute.