marcel
Si tu viens de la Belgique ou des Hauts-de-France, tu as forcément connu l’hypothermie et les lendemains de gueule de bois carabinée en période de carnaval. Le groupe marcel aussi. Et grâce à leur sachante musique post-punk biberonnée à l’expérimental, tu auras maintenant toutes les cartes en main pour soigner ce genre de coup de mou. Un mois après la sortie de leur fantastique album charivari (qui signifie mal de crâne et qui désigne un rituel collectif occidental similaire au carnaval – tout est lié), on a pu cuisiner le chanteur Amaury Louis, lui qui fut un temps membre de l'équipe de GMD. Le résultat : un Zoom qui aborde aussi bien les premières sensations de la jeunesse que la festivalisation de la vie, aussi bien la guérison par la joie que l'histoire des révolutions mondiales. L'érudition destroy.
Votre premier album est maintenant sorti depuis un mois. Vous êtes contents de la réception critique et de l’engouement du public ?
C’est surprenant parce que tous les messages que veulent faire passer le groupe ont bien été compris, que ce soit sur le plan esthétique ou autres. Je pensais au départ que ça n’allait pas être gagné. Le fait qu’on se pointe avec une proposition carnavalesque sans que ça soit creux et avec une idée politique sous-jacente a été bien perçu. Nous sommes du coup très contents.
Ça doit être aussi vachement excitant de faire partie de cette scène belge bien vivante ? Particulièrement les groupes de Luik Musik dont on parle pas mal à Paris où j’habite.
La scène belge est surtout très diversifiée. Nous avons notre propre son et d’autres groupes saturés vont proposer des tas de choses différentes. Luik Musik fait un excellent taff pour exporter tout ça dans les pays francophones. Damien Aresta, qui vient de It It Anita, nous a pris sous son aile pour son agence de booking. Il a fondé Luik et nous a branché auprès de Juliette et JB qui ont repris le relais du label. marcel n’aurait peut-être jamais eu cette opportunité d’être écouté comme ça sans Luik et le parrainage pro-actif de Damien.
Vous dites que si on vous met un revolver sur la tempe en vous demandant de citer la décennie qui vous a le plus influencé, vous seriez obligés de dire les années 90. Moi, même pas besoin d’un flingue pour que je dise la même réponse ! C’est parce que nous sommes des enfants de cette décennie ou c’est plus profond que ça ?
Il y a certainement un aspect de la résurrection des premières sensations de la jeunesse. Mais je serais assez malhonnête de dire que c’est toute la musique de cette décennie qui m’a bercé. Avec Maxime, qui est le guitariste et mon meilleur pote depuis que j’ai 3 ans, nous ne connaissions pas toute la scène de Washington par exemple. On écoutait bêtement Nirvana, les Red Hot, Green Day, NoFx… Ce que j’adore dans les années 90, c’est que c’est une réponse aux exagérations des années 80. Il y a ce regain de l’authenticité et du D.I.Y. Je prends comme exemple Talk Talk, que j’écoute maintenant religieusement. C’était la quintessence de la synth pop mais ce groupe a pris une direction beaucoup plus artistique et intimiste sur les derniers albums. C’est dans la tradition colorée et carnavalesque du punk 70’s et 90’s que marcel veut s’inscrire.
La notion de cabaret et de cirque a l’air d’ailleurs très importante pour le groupe. C’est pour coller avec une musique bordélique et chaotique ?
Quand on s’est interrogé sur la direction qu’on voulait donner à la musique, nous étions attirés par l’univers du cirque et du cabaret. Surtout ce côté subversif et libérateur de pulsions parfois immorales et questionnables… C’est laisser parler toutes les choses qui peuvent être monstrueuses au fond de nous. Et les faire parler de façon plus ou moins pacifiée ! On ne défend pas évidemment les moqueries des déformations physiques ou encore l’exploitation animale qu’on peut trouver dans le cirque. C’est surtout le carnaval qui est important pour marcel. Dans le carnaval, toutes les différences sont abolies : entre les hommes et les femmes, les humains et les animaux, les riches et les pauvres… C’est une festivalisation de la vie. Ces idées de renversements et de surprises sont très importantes dans notre musique. Ça serait pas mal qu’on laisse plus de chance à l’imprévu…
Le punk et le post-punk ont un aspect visuel très souvent noir, violent et déprimant. marcel c’est tout l’inverse. C’est un parti pris pour montrer que le punk peut être joyeux sans forcément verser dans le ska de la fête du village ?
Ouais ! Bien que parfois, je pense que certaines personnes pourraient facilement nous catégoriser là-dedans parce qu’on a le côté potache dérivé de Dutronc et de Nino Ferrer. C’est notre affection pour le surréalisme qui parle ! Y a un groupe fondamental pour moi et c’est les Sex Pistols. Ce sont des mecs qui en ont rien à branler et qui ont tout envoyé bouler. Un livre fabuleux de Greil Marcus qui s’appelle Lipstick Traces a vachement résonné en moi et parle des liens entre les hérétiques médiévaux, John Lydon, le fait de faire un doigt d’honneur à l’ordre établi… Ce qui a bien marché en premier dans le punk, c’est ce côté outrageux et méga coloré. Ce n’est pas totalement nihiliste, il y a une forme d’amour et de camaraderie ! C’est clair que je ne me reconnais pas dans les groupes exhibant le mal-être. Pourtant dans marcel, nous sommes tous plus ou moins des gens à tendance dépressive. Mais nous n’avons pas forcément envie de l’exprimer à travers l’art. Nous voulons nous guérir à travers l’effet inverse : en allant chercher la joie.
Frank Zappa se demandait d’ailleurs si l’humour pouvait faire partie de la musique. J’ai l’impression que pour vous la réponse est évidente…
Quand tu fais des vannes, tu n’es pas considéré comme un groupe vraiment sérieux. Ma théorie c’est que c’est à cause du courant romantique allemand et de la beethovenisation de la musique. Ce mythe de l’artiste torturé qui doit souffrir pour produire son art… Moi je suis plutôt du côté de Mozart qui mettait beaucoup d’humour dans ses compositions ! Tu as des airs avec deux perroquets qui parlent dans La Flûte enchantée et beaucoup d’imagination débridée… Contrairement à la tristesse crépusculaire du romantisme qui va arriver par la suite. Depuis les années 80, on assiste à un retour de l’esthétisation de la mélancolie. Notre proposition est plutôt de trouver la joie dans le triste et le triste dans la joie.
Tes paroles sont aussi très surréalistes et semblent truffées de private jokes. C’est parce que ça te plaît de rendre marcel cryptique ?
Disons que de ne pas percevoir de quoi me parle une œuvre au premier coup d’œil m’a toujours attiré. Comme les choses cryptiques, les énigmes, le mystère… Je suis dans le camp d’Edgar Allan Poe plutôt que d’Eric-Emmanuel Schmitt quoi. Tous les jours, dès que je me réveille, je suis un point d’interrogation humain. Je me demande ce que je suis, je ne comprends rien à ce que je fais et ce qui m’arrive. Je serais incapable de mettre sur papier des choses que je ressens de façon complètement unilatérale. J’ai écrit de la poésie ces dernières années et je me suis rendu compte que c’est avec des combinaisons d’images que j’arrive à figer une émotion. C’est restituer une ambiance et une atmosphère que j’aurais en tête et qui serait la couleur de mon âme à un instant T. Ça existe de façon cryptique pour les autres mais je pourrais t’expliquer chaque mot. Ce n’est pas du cut-up ou un cadavre exquis. Chaque chose a une vraie signification dans son ordre et ses couleurs.
Tu as des influences littéraires particulières ? C’est une question de nerd mais je bosse dans une librairie.
Je suis aussi passionné par la littérature ! J’ai beaucoup lu Bataille dernièrement. Les tréfonds de l’âme humaine, ça me passionne… J’adore aussi Knut Hamsun et William Carlos William. L’album est surtout imbibé de culture populaire comme les dessins animés débiles. Depuis le COVID, je me suis plongé un peu obsessivement dans l’histoire des révolutions mondiales : les révolutions anarchistes espagnoles, la Terreur, la Commune… Tout ça m’a nourri pour chaque chanson de l’album.
D’ailleurs, selon les mots de marcel, l’album "invite le public à méditer sur les moyens par lesquels nous pouvons saboter le monde civilisé". On a ton autorisation pour l’utiliser en France comme bande-son pendant les manifs contre la réforme des retraites et pendant la révolution qui va suivre ?
Y a rien qui nous ferait plus plaisir ! Le faire écouter jusque sous les fenêtres de Darmanin et tout le bordel. Si ça peut déclencher chez une poignée de personnes une envie de renverser quelque chose, que ça soit leurs propres préjugés ou un gouvernement, pour nous ça serait gagné ! Tout l’objet est de faire une promotion du renversement au sens large.
Le morceau "playroom" sur lequel s’ouvre l’album est incroyable et je suis obsédé par son riff. C’est quoi selon toi le riff ultime dans l’histoire du rock ?
Ah putain ! J’étais très longtemps obsédé dans ma jeunesse et mon adolescence par le riff de "Bitch" des Rolling Stones. Je sais que ce n’est pas très original ou féministe parce que le morceau est une myriade d’insultes misogynes. J’ai aussi été biberonné à AC/DC parce que mon père me forçait à écouter leur live "If You Want blood You’ve Got It" pendant qu’on faisait du jardinage.
"Playroom" s’ouvre également sur quelques notes de kazoo. L’album est rempli d’instruments tous plus bizarroïdes les uns que les autres. C’est juste pour le fun ou c’est une vraie approche expérimentale ?
Les deux raisons que tu viens de citer ! On veut promouvoir la légèreté dans la vie à travers une musique qu’on pourrait qualifier de violente. Mais ce n’est pas contradictoire… "Playroom" vient d’un riff de Max mais on a tous façonné le morceau à notre niveau dans notre tout petit local de répét. Ce local donne sur la cour de récréation de notre école secondaire ! Je pense qu’inconsciemment ça nous a fait retomber en enfance et on voulait s’amuser. Le kazoo, les maracas, etc permettent d’ensoleiller notre musique. Ça permet aussi d’éviter l’association entre violence et tristesse. Tu peux être violemment amoureux de quelqu’un ou violemment heureux d’être en vie. La violence n’est pas synonyme de négativité.
Tu t’occupes aussi parfois des vidéos du groupe. C’est important pour toi d’avoir un certain contrôle visuel de marcel ?
C’est arrivé parce qu’on avait fait le tour des collaborations qu’on désirait mettre en place. C’est aussi tout simplement par manque de moyens. C’est le côté pratico-pratique du D.I.Y. : on n’a pas de thune ! Il me restait des choses à faire passer visuellement dans le cadre de cet album : l’onirisme, l’inconscient collectif, l’inquiétant et le burlesque… Personnellement, je n’ai plus grand-chose à dire pour le moment quant aux vidéos.
marcel sera ce 27.04 aux Nuits Bota (Bruxelles) et le 19.05 à L'international (Paris). Toutes les dates du groupe pour ce printemps-été 2023 sont à retrouver sur la page Facebook du groupe.