King Gizzard & The Lizard Wizard
D’ici quelques jours paraîtra Nonagon Infinity, nouvel album herculéen de King Gizzard & The Lizard Wizard qui consolidera très certainement un peu plus le trône sur lequel siègent désormais les Australiens. Mais revenons un peu en arrière, le jeudi 3 mars dernier précisément. Après 4 heures de covoiturage en compagnie de Joseph, 53 ans, et à peine plus de mots échangés, me voilà enfin à la Flèche D’or, là-même où se produira le groupe d’ici quelques heures pour sa seule escale en France. Forcément, on n’allait pas manquer l’occasion : rencontre avec Stu Mackenzie donc, leader charismatique et gourou de la bande, dont les pieds sont finalement plutôt bien ancrés sur Terre.
GMD : Ma mère m’a conseillé de n’accepter aucune chose comestible de votre part, de peur que tout soit fourré au LSD. Selon toi, à quelle drogue s’apparenterait King Gizzard & The Lizard Wizard?
Stu Mackenzie : (rires) J’avoue qu’en ce moment je suis carrément accro à la caféine… Alors ouais, je dirais la caféine.
GMD : C’est ça qui vous fait tenir ? Je veux dire, le groupe sort en moyenne 2 albums par an et part ensuite le reste de l’année en tournée pour les défendre. Combien de temps vous pensez pouvoir tenir comme ça, à un rythme aussi effréné ?
Stu Mackenzie : Je pense qu’on ne sortira qu’un seul album cette année (ndlr : Nonagon Infinity) parce qu’effectivement, pas sûr qu’on tienne très longtemps si on force trop. Au final, c’est vrai que le rythme n’est pas toujours évident à suivre… Le plus difficile, c’est de tourner en permanence alors que bosser en studio et écrire des albums, composer, c’est ce qui me plait vraiment, c’est la partie excitante du job. Peut-être qu’un jour, on sera à court d’idées, une sorte de panne créative mais pour l’instant, tout est OK de ce côté là !
GMD : Justement, vous venez de teaser Nonagon Infinity sur votre page Facebook dans une vidéo assez étrange. Comment décririez-vous ce nouvel album ?
Stu Mackenzie : Nonagon Infinity c’est 9 titres et un concept assez simple : toutes les chansons s’enchaînent, sans coupure. En gros, le premier titre glisse vers le deuxième qui lui-même glisse vers le suivant, etc. Toutes les chansons sont donc liées les unes aux autres et la neuvième renvoie au début de la première, ce qui fait que tu peux écouter tout l’album en boucle sans aucun temps mort.
(Un roadie fait irruption dans la salle : il vient très justement réapprovisionner le frigo en bières.)
On voulait vraiment faire un disque brutal cette fois, donc c’est sans aucun doute le plus violent de notre discographie. Sous certains aspects, c’est aussi un peu progressif, expérimental…
GMD : Vous bossez énormément l’univers visuel du groupe : vos pochettes d’albums sont très graphiques, les lives toujours accompagnés de vidéos kaléidoscopiques à la Pink Floyd période Barrett. Avez-vous jamais pensé à élargir le projet King Gizzard ? Genre inclure votre musique dans la réalisation de vidéos comme le film « The Wall » par exemple ?
Stu Mackenzie : Carrément ! On en parle pas mal entre nous et on y réfléchit. On a la chance de partir en tournée avec Jason Colea, le type qui s’occupe de nos pochettes d’albums et de la réalisation de nos clips. C’est un mec très créatif et un ami très proche, il est donc toujours au courant de nos avancées en studio, de la direction qu’on souhaite prendre, et gère très bien l’univers visuel du groupe. On aimerait vraiment continuer à collaborer avec lui car c’est un peu le huitième membre de KG&LW.
GMD : Sur le plan musical, vos albums vous font paraître pour des types assez tarés en tout cas…
Stu Mackenzie : En fin de compte on est probablement plus normaux que ce que les gens s’imaginent. Pour moi, c’est clair qu’on a fait des disques assez barrés, mais tu sais, c’est comme quand tu es un romancier, un écrivain de fiction : tu peux très bien écrire tout un livre à la première personne du singulier sans pour autant parler réellement de toi. En musique, c’est la même chose, c’est simplement que les gens se l’imaginent moins facilement, ils ont plus tendance à croire qu’on doit être 100% honnêtes dans ce domaine. À vrai dire, je trouve ça assez injuste. On devrait avoir le droit de jouer un personnage, de développer notre imaginaire et pouvoir expérimenter à partir de notre personne.
GMD : Aujourd’hui la scène psychédélique est très active et qualitative, notamment en Australie. Tu penses que c’est Tame Impala qui a montré l’exemple ou simplement attiré l’attention sur une scène déjà existante ?
Stu Mackenzie : Tame Impala a sans aucun doute ouvert la voie, et incité les gens à regarder ce qui se passait du côté de l’Australie, mais eux sont de Perth et nous de Melbourne, deux points opposés sur la carte. Je pense qu’on a davantage été influencés par les groupe proches de nous géographiquement, pas vraiment par Tame Impala. Forcément, on les admire d'avoir réussi à avoir autant de succès tout en jouant une musique aussi cool. Et en tant qu’Australiens, on est même plutôt fiers parce qu’ils n’ont jamais joué autre chose que la musique qu’ils voulaient jouer : le succès qu’ils ont aujourd’hui, ils n’ont jamais couru après. Mais tu sais, à Melbourne, l’environnement musical est incroyable, la musique occupe une place très importante dans la ville. Il y a énormément de rock garage et de punk rock là-bas, styles dont on se revendiquait au début, beaucoup plus que de la scène psychédélique dont on n’est pas réellement issu.
GMD : D’autant que vous pouvez participer à la scène dont tu parles grâce à la réputation que vous vous êtes forgée et avec Flightless Records, label sur lequel des groupes très cool sont signés, comme The Babe Rainbow par exemple.
Stu Mackenzie : C’est Eric Moore (ndlr : un des batteurs du groupe) qui gère Flightless. À la base, c’était vraiment pour avoir la possibilité de sortir nos propres disques étant donné que personne ne croyait assez en nous pour nous aider (rires). Du coup, tu commences à enregistrer de ton coté, à faire ta propre promo etc… Et puis, petit à petit, ça a grandi. Aujourd’hui grâce à Flightless, on a la possibilité d’aider nos potes comme The Murlocs ou The Babe Rainbow ouais, de leur filer un coup de main. C’est un peu comme une grande famille. Eric a de l’ambition pour le label, il voudrait le faire gagner en importance et impliquer encore davantage de personnes dans cette entreprise mais ça restera, quoiqu’il arrive, une affaire d’amis.
Nous on a eu de la chance. Mais je ne dirais quand même pas qu’on a réellement du succès. Forcément, c’est quelque chose de fantastique que de pouvoir voyager grâce à notre musique et ne serait-ce que d’être assis là en plein Paris avant de faire un concert ici, c’est incroyablement cool… Je n’ai jamais souhaité plus de succès que cela : voyager, jouer de la musique pour des gens qui l’aiment et qui y sont réceptifs mais tu vois, on ne se fait pas vraiment d’argent au-delà de ça. On continue de faire ça pour le fun, tout simplement.
GMD : Une dernière question pour la route… On ne t’imagine absolument pas écouter de la techno qui tabasse ou du gros rap de Ricains, mais en fin de compte, qu’est-ce que tu écoutes quand tu es chez toi ? Tu as forcément un petit plaisir coupable…
Stu Mackenzie : (réfléchit quelques instants) Mon plaisir un peu coupable, ce serait sans doute un truc comme du heavy ou du trash metal… J’adore les débuts de Metallica par exemple, les premiers albums comme Kill’ Em All, Ride The Lightning, Master Of Puppets et …And Justice For All. Mais sinon, j’écoute beaucoup de musique des sixities, ça reste l’âge d’or de la musique moderne selon moi. Les types de l’époque n’avaient pas peur d’expérimenter, que du contraire. Ils osaient tout et repoussaient les limites de leur instrument : il y avait quelque chose de magique, d’aventureux dans tout cela. Je doute très sincèrement qu’on puisse un jour refaire des disques aussi bons que ceux de l’époque… Ça me semble presque impossible.
On retrouvera Stu Mackenzie quelques heures plus tard, sur scène, bien entouré des six autres membres du groupe. Un concert à 300 à l’heure, sans aucun temps mort et pendant lequel la température de la salle s'est élevée d'une dizaine de degrés grâce à un cocktail explosif issu des trois derniers albums, auxquels se sont mêlés une bonne poignée d'inédits figurant sur un Nonagon Infinity s'annonçant dantesque. Suite à ces deux heures d'une prestation tout simplement hallucinante, nous voilà rincés, lessivés par cette grande messe psyché. Pourtant les King Gizzard & The Lizard Wizard, eux, ne comptent pas s'arrêter là.