Interview

Julien Courquin (Murailles Music)

par thomas g, le 8 octobre 2024

Julien Courquin, directeur artistique et dernier fondateur en poste de Murailles Music, est en tournée promo pour présenter la dé-fête, une série de concerts en France et en Belgique pour marquer leurs 20 ans d’existence. Une longévité rare qui vient avant tout des capacités d'adaptation de Murailles Music, qui occupe une place particulière dans le paysage musical de la France avec des activités très variées de label, tourneur, producteur de spectacles mais aussi de contenus audiovisuels avec des séries musicales.
« J'aime bien le côté élastique de l 'associatif, il faut savoir s'amuser » nous dit Julien Courquin lors d’une interview téléphonique réalisée l’avant-veille d’un concert à Pantin, à la Dynamo. En première : Tal Coal, le projet solo de la violoniste Maud Herrera (croisée chez Pagans) puis la collab’ expérimentale entre Yann Gourdon (France, Toad...) à la vielle à roue et pédales d’effet vs. Alexis Degrenier aux percussions.


La dé-fête continue jusqu’en novembre, vous pouvez consulter toutes les dates sur leur site.

En parallèle, Murailles Music présente sa deuxième série Echos (après Confinuum, un cadavre exquis sonore sorti durant la période COVID), discutée en détail dans cet entretien. On a parlé également de leur première expérience de production avec la Colonie de Vacances, du retour inattendu de Papier Tigre (et d’une autre reformation surprise, annoncée en fin d’article) et de musiques traditionnelles qui jouissent d’une place de plus en plus importante au sein de leur catalogue, jusqu’au grand bal de la Cité de la Musique où Murailles a accompagné Vincent Moon pour une carte blanche.

On a volontairement voulu éviter quelques redites avec les confrères en élaguant certains thèmes. Chez Gonzaï, le fondateur de Murailles parle surtout de son état des lieux, un poil désabusé, du milieu de la musique mais également du nom Murailles Music et du programme détaillée de la dé-fête. Et sur France Musique, dans l'émission Planète Ocora, Julien Courquin a avant tout partagé son expérience avec les musiques traditionnelles via les fest-noz de son enfance, en compagnie de Maud Herrera qui parle elle de ses influences. Si vous êtes fan de Moondog, il a également présenté en longueur le travail de Murailles avec Amaury Cornut.

Murailles Music fête ses 20 ans cette année, st-e que tu peux nous raconter la naissance ?

En 2004, il y avait un petit vivier d'étudiants à l'école des Beaux-Arts de Nantes qui avait tous plus ou moins une pratique musicale. Notamment le groupe Chevreuil, un groupe de math rock d'avant-garde, qui y présentaient leur travail avec une installation avec quatre amplis de guitare qui créaient une quadriphonie. Ils jouaient l'un en face de l'autre, jamais sur scène, dans la fosse avec le public autour. On a vite sympathisé. J’étais pas vraiment musicien mais j'avais créé le Collectif Effervescence, mon premier label qui représentait des musicien·ne·s nantais·es. On a réuni des artistes qui nous intéressaient. A l'époque, c’étaient des groupes plutôt rock, folk ou pop. Comme on venait de la même ville, l'idée du collectif était de représenter un esprit associatif solidaire afin de pouvoir mutualiser nos moyens ou organiser des choses ensemble. Chaque musicien·ne s’est très vite retrouvé·e sur l'album de l'un ou de l'autre.

Murailles est plutôt parisien maintenant ?

Le siège social est toujours à Nantes. Je ne voulais pas nous déconnecter de notre origine. Paris, ce n’est clairement pas ma ville de cœur, mais on y a un bureau. On en a un à Rennes également.

T’es le dernier fondateur encore présent dans la structure ?

Après des séparations physiques — il y en a un qui est parti en Italie, l’autre qui ne souhaitait pas se professionnaliser — je me suis retrouvé seul au bout de quatre ans d'existence. Avec Murailles Music, je voulais m'intéresser à des musicien·ne·s qui se consacrent à la pratique quotidienne de leur instrument.

Comment cette direction artistique se traduit-elle aujourd’hui ?

Il y a une direction artistique cohérente dans le choix des artistes qu’on expose. C'est ce que témoigne Echos, la série documentaire diffusée sur Youtube que j'ai réalisée cette année. Une série qui suit un dispositif précis : chaque épisode est réalisé, en autoproduction, de manière totalement égalitaire en termes de disponibilité, de temps et de moyens. Le but est de raconter la direction artistique de Murailles et comment les musiciens s'y attachent avec une intention qui leur est propre. Chacun son identité et sa particularité. Par exemple, une des figures de Murailles, c'est Thomas Bonvalet de L’Ocelle Mare avec qui je travaille depuis le début. Je le connaissais avant même de constituer Murailles. Il a toujours collecté des objets pour construire son propre instrumentarium et j’ai voulu lui demander comment il composait avec ces différents timbres. Je pense également à Ernest Bergez de Sourdure qui n'a aucune racine occitane mais qui va pourtant s'approprier cette langue pour chanter.

Y aura-t-il une suite ?

Après les douze épisodes annoncés d'Échos (de janvier à décembre), on présentera une nouvelle série, qui n'a pas encore de nom, toujours sur la parole des musicien·ne·s de Murailles mais sur des sujets extra-musicaux comme la santé, le social, etc. Par exemple, on parlera d'hyperacousie avec Thomas Bonvalet parce que ça l'a paralysé pendant des années.

D’où t’es venue cette idée de réaliser une série documentaire ?

Mon premier désir de faire un documentaire, c'était sur la Colonie de Vacances mais ça ne s’est pas fait. Je voulais documenter le projet artistique, mais aussi le projet social. Autant du côté du public, avec ces émotions partagées, que pour illustrer la fratrie créée par ces musiciens. Il y a une communion entre eux. C’est quand même des rockeurs qui ont monté une première mondiale, qui n’existe nulle part ailleurs sous cette forme.

Est-ce qu’on peut parler de La Colonie de Vacances ?

On ne travaille plus avec la Colonie de Vacances puisqu’ils sont maintenant en autogestion et en autoproduction, mais ces 10 ans de collaboration avec Murailles ont été un moment très fort. Pour la petite histoire : à l'époque ils s’agissaient vraiment de quatre groupes différents [Papier Tigre, Electric Electric, Marvin, Pneu] qui étaient hyper potes et tournaient souvent ensemble. Il y a eu une première invitation de Rubin Steiner, alors programmateur du Temps Machine à Tours. C’est lui qui a lancé sans le savoir l’idée du système son quadriphonique en les invitant à jouer l’un après l’autre sur quatre scènes dans chaque coin d’une cour du château de Tours. En fait, les groupes lui ont plutôt proposé de jouer l'un sur l'autre, en superposition, pour voir ce que pouvait rendre une quadriphonie live. Premier résultat : une excitation du public parce que le rapport frontal avec la scène disparaît. Au niveau social, tout le monde se regarde : tu croises facilement le regard des autres en passant d'une scène à l'autre.

Ils ont voulu réitérer l’expérience en se mettant à fond dans la création : jouer ensemble mais aussi composer ensemble. C’est ce qui a lancé la Colonie de Vacances. Ils avaient déjà chacun un partenaire de tournée. Moi-même, je n'avais pas encore travaillé avec Electric Electric. Murailles Music est la seule structure à avoir dit oui : les autres trouvaient que c’était trop casse-gueule parce qu’il fallait vendre un spectacle avec onze musiciens et deux techniciens qui se déplaçaient avec quatre vans. On n’avait pas encore de tour bus, c’était pas très écologique. Et surtout, il fallait annoncer aux salles qu’on ne pouvait pas jouer sur leur scène parce qu'il fallait installer quatre praticables qui allaient bouffer une capacité de 120 personnes sur leur jauge.

C’est comme ça que Murailles Music a évolué au-delà du simple statut de tourneur ?

Sans le savoir, on s'est lancé dans la production avec la Colonie de Vacances, alors qu’on n'était que dans la diffusion avec les autres groupes de rock : ils répétaient dans leurs propres studios et ne réclamaient pas vraiment de résidence parce qu'ils n'étaient pas suffisamment informés des moyens à leur disposition. On a reproduit ce modèle pour tous les artistes, en étant présent dès le début, pour chercher des financements afin de se professionnaliser, sécuriser la création, financer la résidence, etc.

D’où viennent les ressources financières de Murailles ?

Ces dernières années, on a 80% de ressources propres et 20% de subventions. Attention : ces subventions ne financent pas du tout le fonctionnement de Murailles mais elles représentent la somme de toutes les aides aux projets. C’est une forme d'acte de résistance d'aller chercher ces moyens pour visibiliser les plus petits groupes. Parce qu’on n’est pas dans une musique marchande, ni même dans des pratiques commerciales. On trouve malgré tout des dispositifs économiques pour arriver à produire. En parallèle, il y a les crédits d'impôt qui ont soulagé la majorité des acteurs indépendants en France et qu’il ne faut pas confondre avec les 20% de subventions. Cela nous a permis d'avoir les moyens pour une vraie prise de risque financière pour la création artistique.

Combien de personnes travaillent pour Murailles ?

On est sur une équipe tournante de huit personnes avec des postes qui sont déterminés par le volume d'activité.

Combien de concerts organisez-vous par an ?

En 2023, on a organisé 438 concerts dont 15 annulés. On joue partout : dans les milieux pluriels, subventionné ou associatif, mais aussi - et c'est hyper important - urbain et rural, peu importe la jauge. On est sur une moyenne 330 concerts depuis 10 ans. On n'a presque jamais d’appels entrants de la part des salles. C’est notre équipe de diffusion qui va aller chercher chaque concert. Je suis assez critique avec la programmation en France, qui n'est pas aussi curieuse que dans les autres pays européens où les programmateurs font acte d'affirmation de la diversité artistique. Cela paye car le public est souvent au rendez-vous alors qu’il n'y a pas tant de marketing que ça, très peu de communication, etc. En France, les programmateurs sont noyés dans un océan de propositions artistiques ou musicales et sont surtout chargés d'un temps administratif assez imposant. On voit très bien que le secteur s'institutionnalise. Par conséquent, ils font plus de la gestion d'équipements et de salles que de la programmation. C'est pour ça que je nous considère plus comme une force de programmation. Même les artistes ne s'en rendent pas compte et pensent qu’il suffit de faire de la communication. Vendre un concert cela demande beaucoup de temps pour prospecter et obtenir des confirmations.

C’est quelque chose de nouveau ?

Faut pas avoir de fantasme par rapport à ça : depuis 20 ans cela n'a pas presque pas bougé. C'est un peu mieux parce que nous avons reçu la reconnaissance d’un public avide de musique expérimentale au sens très large. Cela peut nous arriver de faire des concerts à 300 personnes mais on n’a pas de tête de gondole pour autant, ce qui pourrait rassurer les salles en termes de remplissage.

C’est quoi pour toi la musique expérimentale ?

Cela m'intéresse de mélanger les esthétiques, justement pour ne plus avoir à parler d'esthétique. La musique expérimentale aujourd'hui c’est de la musique contemporaine, de la musique traditionnelle, de la musique actuelle. La musique expérimentale est une musique de création qui s'oppose à une musique marchande et commerciale. Ce n’est pas une musique qui veut vendre, c'est une musique qui veut créer.

Avec les années, on a pu voir une évolution du catalogue de Murailles de la musique rock vers les musiques traditionnelles ou populaires ?

Je n’aime pas le mot catalogue parce que cela reste commercial mais dans l’ensemble artistique de Murailles, il y a beaucoup d'instrumentistes : le violoncelliste Gaspar Claus, le pianiste Melaine Dalibert… Si on vise la diversité, on ne peut pas tous jouer des mêmes instruments. Je crois que c'est important d'avoir des représentations qui soient diverses. Il y a une volonté d’oublier un peu la guitare comme instrument totem de représentation de la musique. Alors que Murailles Music a commencé avec plusieurs groupes de rock en format guitare-basse-batterie, ce n’est plus notre boulot. C'est une question d'appropriation de l'instrument : bien que Julien Desprez soit guitariste solo, il utilise la guitare comme générateur électrique.

Travailler avec les musicien·ne·s traditionnel·le·s c’est hyper réjouissant parce que je découvre plus d’instruments que je n’aurais pu l’imaginer. On a vécu plusieurs entrées dans les musiques traditionnelles, notamment avec Sourdure, le groupe Bégayer, Loup Uberto (en duo avec Luca Ravinale) et puis la chanteuse Marion Cousin qui fait des collectages sur la péninsule ibérique et qui joue en duo avec Eloïse Decazes. On s’est également retrouvé à travailler avec Vincent Moon, un réalisateur qui filme les musiques rituelles et sacrées. Quand il est revenu en France après plusieurs années au Brésil, il nous a demandé de l’aide pour la série Territoires réalisée dans les régions françaises avec Priscilla Telmon.

Pour l’anniversaire des 20 ans de Murailles, vous faites une dé-fête, qu’est-ce que cela veut dire ?

Ce sont 20 ans qui sont passés très vite. Comme tu peux l’entendre, c’est un métier hyper accaparant. C’est pour ça que je ne voulais pas avoir une charge trop festive pour ces 20 ans. L’idée de se décharger d’un gros poids à porter depuis 20 ans est l’élément déterminant qui vient défaire cette dé-fête.

La grosse surprise de la dé-fête c’est la reformation de Papier Tigre.

Ils n’avaient pas tourné depuis 6 ans. On est revenu les chercher pour renouer avec les formules rock qu'on a un peu oubliées. J'étais content que Papier Tigre accepte la proposition. Maintenant qu'ils ont 40 ans, j'avais peur d'une certaine forme de nostalgie. Je les ai déjà vus jouer pour la reprise et, promis, il n’y aura pas de déception à revoir Papier Tigre. La musique n’a pas vieilli et garde la même énergie.

Mais cela n’est pas la seule reformation surprise, on peut d’ores-et-déjà annoncer le retour de Encre en 2025. La formation menée par Yann Tambour de Stranded Horse jouera avec une nouvelle formule live en quatuor de musique de chambre, beaucoup plus proche de l'instrumentation des deux albums que celle des tournées d’antan qui flirtait avec le post-rock.

Crédit photo : Cécile Genest